Associé aux sujets : Inégalités VS Écologie, Écologie et ses clichés, Évolution et impact de la démographie
Une remarque que l’on peut assez régulièrement entendre, que ce soit aux repas de famille ou entre amis, est que « si nous étions moins nombreux, la pression environnementale de nos sociétés serait moindre ». De fait, difficile de contester cette affirmation. Mais la véritable question derrière tout ça n’est pas de savoir si le fait d’être moins nombreux diminuerait l’empreinte écologique des civilisations humaines.
Nous préférerons plutôt nous demander : à quel point faudrait-il diminuer la population pour que l’empreinte écologique de l’espèce humaine soit inférieure à la biocapacité ? Cette proposition permettrait-elle de la réduire durablement ? Et enfin, est-ce la méthode la plus efficace pour réduire nos pressions environnementales (sachant qu’elle n’est pas très éthique, ce qui d’emblée rend la proposition relativement délicate à appliquer) ?
Pour être honnêtes avec vous, nous avons longtemps hésité à aborder un sujet aussi polarisant au sein de TSEB. En effet, cette manœuvre visant à résumer la crise écologique de notre système socio-économique à un nombre d’individus, peut être récupérée afin de minimiser voire écarter les responsabilités d’ordre systémique de notre prédation (cf. l’écologie individuelle), ce qui dans un certain sens ne contribue pas de façon pertinente au débat (et nous allons ensemble essayer de comprendre pourquoi par la suite).
Cependant, ne pas en parler c’est aussi crédibiliser certains raisonnements un peu faciles du type : « il suffit de diviser par autant la population et nous n’aurons ainsi pas besoin de revoir nos modes de vie, ou encore d’adapter le système macro-économique en place ». Nous vous proposons donc d’analyser la question démographique et plus particulièrement son éventuelle place dans un débat porté sur les enjeux socio-écologiques, de la manière la plus honnête, rationnelle possible et en laissant nos passions de côté.
L’objectif est double : apporter une réponse claire à la question (réduire la taille de la population est-elle l’ultime solution pour rebâtir un monde éco-compatible) et démontrer que les raisonnements « raccourcis » comme par exemple « nous sommes trop nombreux » (qui peuvent être entendus pour toute une série de raisons) n’apportent pas grand-chose de constructif ni de fait scientifiquement valide.
Le sujet est particulièrement étoffé afin de vous livrer un maximum de clés de compréhension, mais l’essentiel est repris dans la conclusion qui ne vous prendra que quelques minutes de lecture.
Évolution démographique aujourd’hui
On peut régulièrement entendre, et à raison, que l’évolution démographique de l’espèce humaine au cours du siècle dernier fut fulgurante : nous sommes passés de 1.6 milliards [Mds] d’individus début du XXe siècle à 6 Mds en 2000, et nous arriverons d’ici la fin de l’année 2022 à 8 Mds ! Cette évolution exponentielle doit-elle pour autant nous inquiéter ?
La première chose à savoir est que l’évolution démographique tend vers une asymptote. Autrement dit, nous ne sommes plus dans une tendance de croissance exponentielle et la population devrait stagner autour des 10 Mds voire 11 Mds d’ici la fin du siècle (on parle aussi de 9 Mds d’ici 2100 suivant l’influence que l’on accorde à certains paramètres qui régissent la projection démographique). [¹][²]
Ainsi, si une légère augmentation (enfin, 2 Mds tout de même !) reste à prévoir, non, l’humanité ne continuera pas à se reproduire à une vitesse folle indéfiniment ! En réalité, nous sommes déjà dans une phase de stabilisation démographique, qui sera soit suivie par une stagnation, soit par une baisse de la population.
Mais pourquoi la population humaine a-t-elle évolué aussi fortement au cours du siècle dernier ? Et pourquoi cette stabilisation ? Pour situer un peu les choses, un peu d’Histoire.
Histoire de l’évolution démographique
C’est à partir de l’Holocène (il y a 11700 ans de cela) et grâce à la stabilité climatique que confère cette époque géologique, que l’espèce humaine a pu se sédentariser. Avant cela, les millions d’êtres humains qui peuplaient la Terre étaient continuellement en mouvement et vivaient donc principalement de la chasse et de la cueillette, avec des habitations très sommaires (puisqu’elles servaient surtout à se protéger des prédateurs et étaient rapidement désertées).
A partir du moment où l’Homme n’a plus eu besoin de se déplacer en permanence, il s’est petit à petit mis à développer l’agriculture, la domestication, l’élevage et les villages. C’est ce qu’on appelle la Révolution néolithique [³].
Bien que cette Révolution se soit faite sur des milliers d’années (on parle de 4000 ans environ), elle a grandement amélioré la survie de l’espèce humaine, dont la population s’est rapidement mis à croitre pour atteindre en -2000 environ 100 millions d’habitants. [⁴]
Alors certes, nous sommes encore loin de l’évolution fulgurante du XXe siècle, et il a fallu presque 10 000 ans pour multiplier la population par environ 50. Mais rappelons qu’à l’époque la médecine n’existait pas et que les conditions de vie étaient rudimentaires, pour ne pas dire difficiles. Vers la fin de l’Antiquité notamment, l’augmentation de la population et un niveau d’hygiène rudimentaire contribuent à faire émerger des problèmes de salubrité au sein des grandes villes, ce qui conduit à la prolifération de maladies, par accentuer des problèmes de famine aussi renforcés par des variations climatiques,… [⁵]
Vers l’an zéro, la population se stabilise avant de diminuer légèrement jusqu’à la fin de l’Antiquité qui signe un changement de civilisation. Suite à quelques adaptations et changements civilisationnels qui prennent plusieurs siècles à se mettre en place, la population se met à croitre à nouveau mais assez lentement puisque là aussi les guerres, la nourriture limitée et les famines, les maladies et épidémies (peste, choléra, typhus) limitent encore l’accroissement de la population humaine terrienne. [⁶]
Au XVe siècle, la population est d’environ 500 millions d’individus [⁶], ce qui correspond à peu près à un doublement de la population sur environ 1000 ans, passe à 700 millions au XVIIIe siècle et finit par atteindre le milliard à l’aube de la Révolution industrielle, c’est-à-dire au début du XIXe siècle [⁴]. Mais c’est à partir de la Révolution industrielle que les choses s’accélèrent davantage : le développement des techniques et machines permet de démultiplier le travail humain, d’exploiter toujours plus de ressources qui à leur tour permettent de développer toujours plus de machines,… Tandis que les sciences se développent peu à peu (meilleure compréhension de la physique, de la médecine,…).
Grâce à ces avancées, l’espérance de vie augmente (surtout en Occident, là où cet essor est le plus important) donc mécaniquement, la population se met à augmenter d’autant plus fort. Cet accroissement va connaitre une deuxième phase d’accélération aux alentours des années 1950, avec le fameux baby-boom : les pays et familles dévastés par les 2 Guerres repeuplent rapidement, et l’on passe d’une population d’environ 2.5 Mds à 6 Mds en 50 ans ! [⁴]
Si l’on ne s’en tient qu’au passé, on peut constater un apparent lien entre le développement des sciences et techniques et l’accroissement de la population. Cependant, ce développement s’est jusqu’ici toujours déroulé dans un contexte d’abondance en ressources (garant d’un niveau de confort toujours plus important), ce qui ne peut plus être le cas aujourd’hui avec la raréfaction des ressources et le réchauffement climatique. Pour autant, le développement des sciences et techniques (qui dépend avant tout du progrès humain) peut très bien s’effectuer en dehors d’un cadre d’abondance et sans accroissement de la population (dois-je rappeler que la mécanique Newtonienne, l’une des plus grandes avancées scientifiques de tous les temps humains, date du XVIIe siècle, soit d’avant la Révolution industrielle), mais le contexte historique est tel qu’il serait fort simple d’associer progrès à accroissement matériel. Or c’est précisément cet accroissement illimité qui nous propulse dans le mur aujourd’hui, et pas seulement nous invite, surtout nous contraint à urgemment changer de modèle…
Stabilisation démographique
Comme mentionné ci-dessus, la croissance de la population peut être stoppée par des facteurs, bien souvent par le passé générés par les sociétés humaines elles-mêmes : zoonoses, guerres, manières de répartir les ressources, caractère durable ou non de la gestion des ressources,… Non seulement ces phénomènes accroissent le taux de mortalité, mais ils font naitre un climat social anxiogène peu propice à la fondation d’une famille : s’il n’était pas rare de perdre la moitié de ses enfants il y a 300 ans de cela, imaginez ce qu’il devait être à cette époque-là dans une situation de crise permanente s’étalant sur plusieurs années, voire décennies.
Peut-être aujourd’hui cette tendance, liée à une profonde incertitude, commence-t-elle à marquer nos esprits : combien d’entre nous se sentent incapables de se projeter sur un temps long et, de facto, incapables d’envisager la possibilité d’avoir un enfant.
En plus de la relative (in)stabilité du système (écologique, politique, social) en place, le contexte socioculturel lui aussi est important. Car au-delà des influences de ces paramètres les uns sur les autres et de leurs effets rétroactifs, le fait de désirer beaucoup d’enfants peut résulter d’une éducation ou d’un ensemble de mœurs et coutumes, voire de lois (cf. la Chine et sa régulation de population lancée fin des années 70′).
Si une stabilisation démographique peut avoir des origines diverses (politiques, socioéconomiques, culturelles, écosystémiques,…), les démographes s’accordent à dire que lorsque le taux de mortalité diminue, moyennant un décalage de plusieurs décennies, le taux de natalité finit par suivre la même tendance, finalement peu importent les origines de ce changement.
Puisque le taux de mortalité était initialement très élevé, l’espèce humaine avait tendance à beaucoup enfanter pour compenser. Or, lorsque ce taux a commencé à chuter suite au progrès, cette tendance à enfanter conséquemment a encore persisté un certain temps, avant de s’inverser à son tour [⁷]. Ainsi, le taux de mortalité étant actuellement assez faible, il parait extrêmement peu pertinent que celui-ci se remette à diminuer aussi drastiquement qu’au cours du XXe, et donc que la population se mette à augmenter exponentiellement de nouveau.
Ajoutez à cela la contraction énergétique ou décroissance (choisie ou forcée), le changement climatique et des conflits géopolitiques potentiels et vous comprendrez bien vite pourquoi l’idée même d’une population qui continuerait de croitre indéfiniment semble improbable… (à moins que ce bon vieux Jeff Bezos ne trouve la recette de l’immortalité, même si pour le bien de l’humanité je ne le souhaite pas !)
Aujourd’hui, nous sommes donc dans un scénario où la courbe du taux de natalité se rapproche de la courbe du taux de mortalité. Et vous l’aurez compris, la population ne pourra commencer à décroitre (moyennant une certaine inertie) qu’à partir du moment où la courbe de mortalité sera située au-dessus de la courbe de natalité. [¹]
Remarque : ceci tombe sous le sens, mais pour stabiliser la population il faut en moyenne 2.1 enfants par femme (2 enfants car 1 garçon et une fille, et le 0.1 tient compte de la mortalité infantile ainsi que d’une propension à donner naissance à légèrement plus de garçons – sur 205 individus, 105 garçons pour 100 filles). Si le taux de natalité est supérieur à 2.1 avec un taux de mortalité faible, alors la population se met à croitre, tandis que si le taux de natalité est inférieur, dans tous les cas le nombre d’individus finit par diminuer. [⁸]
Transition démographique en Occident et en Asie
Dans les pays « riches », la transition démographique est déjà à l’œuvre depuis quelques dizaines d’années : [⁹]
– en Europe, nous sommes à une moyenne d’environ 1.6 enfants par femme, tout comme au Canada ;
– aux USA, en Chine, en Russie, au Chili, en Australie et en Nouvelle-Zélande, le taux de fécondité est de 1.8, et de 1.7 au Brésil et à Cuba.
Cependant, comme le taux de mortalité est relativement faible, il faut attendre environ 2 à 3 générations avant d’observer une stabilisation des populations (sachant que l’immigration peut également jouer un rôle de tampon) [⁷]. Ceci explique pourquoi les populations continuent d’augmenter légèrement dans nos contrées. Il reste que nous sommes déjà entrés dans un processus de stabilisation de la taille de notre population à échelle nationale [¹⁰] et un peu partout dans le monde d’ailleurs, excepté en Afrique. [¹][¹¹]
Boom démographique en Afrique
En Afrique par contre, on observe la tendance inverse dans bon nombre de pays, c’est-à-dire un boom démographique similaire à celui que nous avons connu durant les années 50′ et 60′ : on y annonce 3 à 4 Mds d’individus pour 2100, contre 1.3 milliard aujourd’hui ! Et c’est le Nigéria qui devrait devenir le 3e pays le plus peuplé au monde dans la seconde partie de ce siècle. [¹²][¹³]
Cette vertigineuse croissance démographique peut a priori faire peur, mais comme nous venons de le voir le reste du monde est déjà en transition démographique. C’est par ailleurs la raison pour laquelle les démographes annoncent une stabilisation démographique à l’échelle planétaire vers la fin du siècle.
Si les démographes n’ont pas encore observé de signe annonciateur d’une transition démographique au niveau de l’Afrique, son évolution est relativement similaire à celle que nous, occidentaux, avons connue au siècle dernier. Il n’y a donc aucune raison de croire que l’Afrique échappera aux mêmes mécanismes de transition démographique. Cela étant, c’est essentiellement à cause de cette explosion démographique que la population va continuer d’augmenter dans les décennies à venir. [¹][¹⁴]
Mais comment expliquer ce retard par rapport aux pays « développés » ? Tout simplement par un développement de l’Afrique plutôt mis à mal par la soif de pouvoir occidentale : d’abord esclaves puis colonisés, grandes victimes de la mondialisation, les Africains ont tardé à bénéficier des avancées technologiques, scientifiques (en matière de médecine et de contraception notamment), et plus généralement de moyens (leurs ressources étant encore à l’heure actuelle en grande majorité accaparées par de grands groupes privés). Ce n’est qu’à l’aube des années 2000 que l’Afrique est devenue capable d’amorcer son développement. Avec un tel décalage, il est pour ainsi dire logique de ne pas encore observer de transition démographique du côté de l’Afrique pour l’instant, et il ne faut probablement pas s’attendre à une transition avant la fin du siècle.
Population de 10 Mds : assez de ressources et de nourriture pour tout le monde ?
Si l’on sait à présent que la croissance démographique de l’espèce humaine arrive à son terme, l’ultime question est finalement de savoir si nous disposons suffisamment de ressources pour nourrir tout le monde et garantir un cadre de vie digne au nombre maximal d’êtres humains annoncé, à savoir 10-11 Mds.
On l’a vu, l’accroissement de la population à venir sera surtout lié au boom démographique africain et à l’inertie démographique. Dès lors, si les pays qui ont déjà effectué leur transition démographique sont déjà capables de s’organiser pour garantir leur souveraineté alimentaire, cela ne devrait pas représenter un problème de leur côté. Là où le bât blesse, c’est plutôt au niveau de la surexploitation des ressources de la part des pays occidentaux (à titre d’exemple, si tout le monde vivait comme la Belgique, il nous faudrait 4 planètes !).
Ce constat met plutôt en exergue l’aspect systémique, organisationnel de nos modes de vie et de consommation, qui de toute manière doivent être adaptés pour des raisons climatiques et d’épuisement des ressources non renouvelables. Le réchauffement climatique devrait avoir également une incidence non négligeable mais néanmoins modérée sur la souveraineté alimentaire. Il faudra donc immanquablement rendre notre système, agricole notamment (au travers des pratiques d’agroécologie comme par exemple la permaculture), plus résilient.
Au niveau de l’Afrique cependant, les ressources allouées par tête de pipe sont bien plus faibles (nous l’avions notamment constaté lors de notre étude sur l’évolution de la consommation énergétique) [¹⁵][¹⁶]. Donc même si celles-ci se mettent à augmenter et même si l’Afrique possède une superficie certaine de territoires inexploitables (déserts,…), elle est très peu densément peuplée par rapport à bon nombre de pays occidentaux (46 habitants par km² en moyenne pour l’Afrique, contre 114 habitants par km² pour l’Europe, avec d’importantes disparités entre pays : en Belgique nous sommes 377 hab/km² !). [¹⁴]
Dès lors, moyennant là aussi quelques adaptations, les ressources disponibles devraient suffire malgré l’accroissement annoncé. Emmanuel Pont, ingénieur ayant étudié la question, est absolument formel : [¹⁴]
« On est capables sans aucun problème [de nourrir 10 Mds d’habitants]. Ne serait-ce qu’aujourd’hui, on est capables de nourrir tout le monde. Néanmoins il y a 2 Mds de gens qui ne mangent pas assez »
Pour lui, la faim dans le monde est une question éminemment politique :
« C’est plus rentable de donner des céréales à nos animaux d’élevage ou à nos voitures, que de les vendre aux miséreux du monde (…) On a en fait énormément de marge. Et on a là-dessus deux chiffres qui écrasent un peu le reste : la viande [77% des espaces agricoles sont dédiés à l’élevage alors que la viande ne représente que 18% de nos apports caloriques] et le gaspillage [33% de ce que l’on produit est gaspillé à peu près tout au long de la chaine]. Il y a une marge gigantesque pour nourrir tout le monde, et même de façon écologique. La question est d’abord politique et économique. »
Rappelons que 50% des céréales vendus dans le monde sont destinés à l’élevage [¹⁴]. Donc rien qu’en luttant contre le gaspillage et en modifiant les pratiques économiques, agricoles et nos manières de consommer (manger moins de viande), on aurait très largement de quoi nourrir tout le monde.
Évidemment, nous ne prendrons pas ici la peine d’analyser ce qu’il en est pour l’ensemble des ressources vitales (d’autant qu’il faudrait déjà commencer par définir le caractère vital de celles-ci), mais sachant que 38% de la superficie globale en terres émergées est dédiée aux pratiques agricoles (cultures, prairies, pâturages, vergers,…) [¹⁷], la souveraineté alimentaire reste l’une des préoccupations majeures en la matière… Souveraineté qui, au vu des constats d’Emmanuel Pont, est aujourd’hui bien plus dépendante de la politique que du nombre !
Et si demain, on baissait encore plus la natalité partout dans le monde ?
La plupart des pays dans le monde sont entrés en transition démographique, c’est un fait. Mais que se passerait-il si nous accélérions d’autant plus le processus en imposant une politique des naissances (cf. la fameuse politique de l’enfant unique), comme ce fut le cas en Chine, afin de garantir une sécurité d’approvisionnement supplémentaire ?
Tout d’abord, le cas chinois est loin d’être un exemple, et l’efficacité de sa mesure politique est, selon Emmanuel Pont, à nuancer : [¹⁴]
« Dans l’histoire de la politique de l’enfant unique, on oublie souvent la politique des 2 enfants qui est arrivée avant, et qui a été extrêmement efficace : en 10 ans, le taux de fécondité chinois est passé de 5 à 2.5 enfants par femme. Les mesures étaient plutôt coercitives (amendes, conditions d’obtention de certains emplois et de promotion au parti etc. en fonction du nombre d’enfants) et ça a très bien marché (…) Mais le parti communiste chinois […] s’est dit que ce n’était pas assez […]. Cependant, il y avait une marge d’application relativement importante à l’échelon local qui nuançait un peu la dureté de cette politique, et très vite, pour éviter des abus type meurtres de petites filles et autres, il y a eu plein d’exceptions qui sont arrivées »
« Cette politique de l’enfant unique n’a jamais vraiment été « enfant unique », elle a été de 1.5 à 2.5 enfants par femme »
(rappelons que dans nos contrées, nous sommes déjà « naturellement » à un tel taux de natalité)
Ce que l’on peut constater au travers de l’exemple chinois, c’est que ce type de politique est particulièrement difficile à imposer, même pour un régime dictatorial, et que son efficacité est très relative : [¹⁴]
« C’est toujours difficile de savoir ce que ça aurait été autrement, parce que la Chine a aussi connu une révolution économique à ce moment-là, et quand on regarde des pays voisins qui étaient un petit peu plus riches et qui n’ont pas eu ce genre de politique antinataliste, en fait la natalité y a baissé à peu près au même rythme. Donc quel a été le delta de la politique de l’enfant unique ? Bah on ne le sait pas trop. Il n’est probablement pas si important que ça »
Notons aussi que cette politique antinataliste a donné lieu à plein d’abus : des stérilisations et avortements forcés et/ou sélectifs (au final ils se sont retrouvés avec 15% de garçons en plus que de filles alors que ce chiffre aurait dû être naturellement de 5%), le contrôle des femmes par le parti, etc.
Enfin, puisque les individus déjà nés aujourd’hui constitueront en grande majorité la population de demain, il faudrait plusieurs générations pour en voir les bénéfices véritables, au travers de cet effet de vieillissement mécanique de la population [¹]. Or, nous devons idéalement avoir totalement transitionné pour l’horizon 2050 ! Une baisse de la natalité ne nous sera donc d’aucune utilité à court et moyen terme, en particulier dans les pays qui ont déjà réalisé leur transition démographique, et à moins de zigouiller en masse et de sang froid des personnes, on ne pourra inverser le cours des choses d’ici 2050…
Et si l’on contraignait surtout les pays à forte natalité, à savoir les pays africains ?
Oserions-nous interdire aux Africains d’enfanter, alors que notre responsabilité vis-à-vis de la prédation environnementale, du changement climatique et de la contraction énergétique à venir n’est plus à prouver ? La manœuvre, pour le moins hypocrite, participe qui plus est à une tentative de déresponsabilisation de la civilisation occidentale : l’origine de tous nos maux, ce ne serait pas nos modes de vie mais bien l’Afrique (qui a pourtant déjà tant souffert) ? Que de billevesées !
La vérité, c’est qu’une politique antinataliste « équitable » (c’est-à-dire fonction des pressions environnementales de chacun) concernerait davantage l’Occident et une bonne partie de l’Asie (alors que la Chine s’y est déjà risquée et que des pays comme l’Australie et le Japon sont loin d’être surpeuplés et en plein boom démographique – c’est même l’inverse, en particulier pour le Japon qui a taux de natalité incroyablement faible) [¹⁸]. Pour le dire autrement, s’il fallait diviser la population de chaque contrée en tenant compte de l’empreinte écologique, il faudrait éradiquer les 3/4 de notre population ici en Occident (alors que nous représentons moins d’un sixième des habitants de la planète), la réduire d’1/3 en Asie et au contraire augmenter la population en Afrique. On voit donc bien que la question écologique est liée à la manière dont nous vivons avant d’être une question de nombre.
Par contre, on peut naturellement inciter l’Afrique à accélérer sa transition démographique via l’éducation (scolarisation des filles, planning familial), la paix, une prospérité économique, la sécurité alimentaire. Un tel contexte permettrait selon les projections de l’ONU d’être 9 Mds d’individus d’ici la fin du siècle à la place de 11 Mds [⁷]. Ce n’est certes pas miraculeux, cela ne changera pas fondamentalement la donne à l’échelle mondiale mais c’est finalement le mieux que l’on puisse faire et envisager.
Conclusion : la démographie n’est ni L’obstacle, ni LE levier
Nous pourrons toujours plus ou moins admettre qu’il serait plus facile d’organiser la transition écologique en étant moins nombreux, mais en attendant des effets véritablement significatifs sur la démographie sont, dans l’immédiat, inenvisageables. Il faudrait en effet une intervention pour le moins musclée du type claquement de doigt de Thanos ou grosse guerre mondiale incroyablement meurtrière pour significativement entrainer une baisse de la population d’ici 2050 [¹⁹].
Cependant, lorsqu’on sait que la population mondiale va se stabiliser autour de 10 Mds d’individus et que les ressources disponibles, pour autant qu’elles soient mieux gérées, distribuées et partagées, sont suffisantes pour nourrir et offrir un cadre de vie digne à tout le monde, la brutalité d’une politique antinataliste très forte ou d’une extermination semble d’un point de vue purement rationnel extrêmement peu pertinente et désirable (n’en parlons même pas d’un point de vue éthique).
Enfin, un changement démographique est une opération qui s’effectue sur des temps longs, surtout depuis que le taux de mortalité est devenu faible : cette excellente avancée implique forcément (et mécaniquement pour ainsi dire) une plus grande inertie, laquelle nécessite plusieurs générations avant qu’une baisse de la natalité impacte le nombre total d’individus. C’est d’ailleurs ce que nous pouvons observer dans les pays qui ont déjà un taux de natalité inférieur à 2 et qui sont toujours en période de transition/stabilisation démographique, comme c’est le cas des pays occidentaux.
En l’état, le mieux que nous puissions faire est d’organiser des changements systémiques majeurs et d’accompagner l’Afrique vers sa transition démographique à travers plus d’émancipation et moins d’expropriation. Comme l’a si bien conclu Gilles Pison, démographe : [¹]
« La question finalement la plus importante ce n’est peut-être pas celle du nombre des humains, mais celle de la façon dont ils vivent. On sait qu’on ne peut pas beaucoup modifier cette croissance démographique relictuelle d’ici 2050, d’ici la fin du siècle. En revanche, on peut changer les modes de vie pour faire en sorte que les humains soient plus économes en ressources et en énergie, qu’ils soient plus respectueux de la biodiversité et de l’environnement. Et ça, on peut et on doit les changer tout de suite »
Comme d’habitude, si vous voulez en savoir plus, nous vous mettons à disposition toutes nos sources et notamment des vidéos qui sont très pédagogiques, simples à comprendre et qui constituent la colonne vertébrale de cet article.
Sources
– [¹] Marathon des Sciences – Sommes-nous trop nombreux sur terre ? – avec Gilles PISON
– [²] Institut Montaigne – Population mondiale : moins que prévu en 2100 ?
– [³] Wikipedia – Révolution néolithique
– [⁴] Population & Sociétés – L’évolution du nombre des Hommes, Jean-Noël Biraben
– [⁵] Slate – Et si l’empire romain s’était (aussi) effondré à cause d’une crise climatique ?
– [⁶] Planète viable – Une brève histoire de la croissance démographique mondiale
– [⁷] Osons Causer – Sommes-nous condamnés par la surpopulation mondiale ?
– [⁸] La Croix – Qu’est-ce que le seuil de renouvellement ?
– [⁹] Wikipedia – Liste des pays par taux de fécondité
– [¹⁰] STATBEL – Perspectives de la population
– [¹¹] Sénat – L’Afrique en mutation : enjeu majeur pour la France et l’Europe
– [¹²] CNews – La population de l’Afrique pourrait tripler d’ici 2100
– [¹³] Info Afrique – Démographie : le Nigéria sera le troisième pays le plus peuplé au monde
– [¹⁴] Greenletter Club – Démographie : sommes-nous trop nombreux sur Terre ? Emmanuel Pont
– [¹⁵] Larousse – La consommation d’énergie
– [¹⁶] Bureau Fédéral du Plan – Production et consommation d’énergie : évolution dans le monde
– [¹⁷] Wikipedia – Surface agricole utilisée
– [¹⁸] Wikipedia – Démographie au Japon
– [¹⁹] Poisson Fécond – Et si on supprimait la moitié de l’humanité d’un claquement de doigt ?
– Terres & Rivières – Démographie galopante
– Age Economie – Nombre de personnes âgées dans le monde : tendance
– notre-planete.info – Données sur les principales causes de mortalité dans le monde
– Le point – Révolution néolithique : comment l’Homme a pris possession du monde
– France Info – Dans l’Union Européenne, la mortalité dépasse désormais la natalité
– Statista – Pays avec le taux de fécondité le plus élevé
– Statista – La France, championne d’Europe de la fécondité
– Ined – Imaginez la population de demain (simulateur de population)
– Arte, 28 Minutes – Pour sauver la planète, faut-il arrêter de faire des bébés ?