Associé aux sujets : Le dérèglement climatique, La souveraineté alimentaire, L’agriculture intensive, La sylviculture intensive, Artificialisation des sols, La déforestation

 

Au XXIe siècle, la question de la souveraineté alimentaire et de la gestion durable des ressources dans un contexte de réchauffement climatique et d’augmentation de la taille de la population prévue jusqu’en 2050, où l’on passera de 8 Mds à 10 milliards d’individus, est cruciale.

S’il existe encore aujourd’hui des régions très infertiles et profondément dépendantes du reste du monde sur le plan alimentaire, celles-ci vont en effet se multiplier, notamment à cause du réchauffement climatique, alors que le nombre de bouches à nourrir va augmenter pendant 20-30 ans encore. Il est donc parfaitement légitime de se demander si le système agricole et sylvicole actuel (la monoculture intensive) est conforme à ces enjeux, pour ne pas dire viable.

A noter que depuis le milieu du siècle dernier, nous avons progressivement constaté que l’agriculture moderne constitue une véritable menace pour la biodiversité, en plus d’être responsable d’un quart des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) à l’échelle de la planète (8% chez nous, le double en France). En effet, depuis les années 60, les variétés de plantes et d’espèces animales en élevage ont diminué de 90%, tandis que la production d’engrais, toujours croissante, consomme énormément d’énergie fossile (pour produire 1 kg d’engrais, il faut 2.5l de fioul).

Avant de déterminer si ce type d’agriculture/sylviculture est câblé pour faire face aux enjeux socio-écologiques de notre ère, de la manière la plus objective/critique possible bien entendu, il nous faut d’abord comprendre en quoi consiste la monoculture intensive, cerner les raisons historiques de son avènement et faire le point sur les conséquences qui en découlent. De cette analyse, nous pourrons ainsi savoir si ce système doit être totalement remis en question et, le cas échéant, s’il est possible de faire autrement.

 

La monoculture intensive et son contexte historique

 

Comme son nom l’indique, la monoculture est la culture d’une seule plante ou espèce végétale dans une exploitation (agricole/sylvicole). C’est un peu comme si demain, vous décidiez dans votre jardin de dédier une parcelle exclusivement à la culture de tomate (il n’est donc pas question d’y faire pousser autre chose que des tomates). Quant à l’intensification (au sens agricole du terme), elle désigne une pratique destinée à maximiser/optimiser la production agricole, c’est-à-dire à rendre une parcelle la plus productive possible (d’un point de vue rentabilité, volume produit par année et par mètre carré etc.).

En définitive, cette maximisation de la productivité requiert l’utilisation d’intrants, et plus particulièrement d’engrais qui permettent de stimuler la croissance des espèces végétales cultivées (produire beaucoup en peu de temps), l’exploitation d’espèces végétales réputées et/ou génétiquement modifiées pour pousser rapidement, mais aussi une mécanisation importante (machines agricoles) pour faciliter la récolte et le traitement de gros volumes.

Aujourd’hui, l’essentiel de notre agriculture repose sur cette technique et une bonne partie de nos forêts sont gérées de la même manière, c’est-à-dire dans une optique de maximisation des volumes produits par m² et par an à moindre coût, ce qui, comme nous le verrons plus loin, n’est pas sans conséquence… et finira à moyen/long terme par produire l’effet inverse.

Historiquement, l’essor de ce modèle d’agriculture concorde avec le développement des engrais de synthèse, sans lesquels la mise en place et perpétuation des pratiques qu’on considère aujourd’hui comme étant conventionnelles n’aurait jamais pu voir le jour. Du côté de la sylviculture par contre, c’est plus le système macro-économique instauré lors de la Révolution Industrielle et son besoin toujours croissant d’énergie et de ressources qui a orienté les sociétés humaines vers une gestion plus productiviste des forêts.

Toutefois, déjà au XIXe siècle, les ressources forestières n’étaient plus capables de subvenir à une consommation toujours plus importante (ce qu’ont permis les énergies fossiles jusqu’à présent mais plus pour très longtemps encore) et la nécessité de gérer plus durablement nos forêts a peu à peu émergé, sans pour autant gagner suffisamment de terrain pour contrecarrer les principes de la pensée dominante (maximisation de la croissance et du taux de profit), ce qui explique pourquoi la sylviculture intensive est encore à l’ordre du jour.

Pour comprendre un peu mieux l’origine des engrais, il faut remonter 1 siècle en arrière. Au début du XXe siècle, nous assistons à la 1ère Guerre Mondiale, marquée par 10 millions de morts et une course à l’armement. Dans ce cadre, seront utilisées des substances comme le nitrate d’ammonium qui, mélangé à un peu de fuel, constitue un explosif peu coûteux et facile à produire.

Seul problème : le premier pays producteur de nitrates, nécessaires à la fabrication du nitrate d’ammonium, est le Chili, et l’Angleterre dresse un embargo contre l’Allemagne afin d’affaiblir sa puissance. Les Allemands décident donc de concevoir eux-mêmes un procédé leur permettant de produire du nitrate d’ammonium. C’est le chimiste allemand Fritz Haber qui met le procédé au point en utilisant l’azote de l’air.

D’ailleurs pour la petite anecdote, l’explosion à Beyrouth en 2020 s’est produite sur un site de production de nitrate d’ammonium. Ça fait donc pas mal de dégâts quand ça pète, cette saloperie !

A la fin de la guerre, pour essayer de valoriser au maximum cette production de nitrate d’ammonium (qui ne sert plus à fabriquer des explosifs pour le coup), et donc ne pas jeter à la poubelle toutes les usines créées à ce titre, on décide d’utiliser cette substance pour l’agriculture : en effet, pour se développer, les plantes ont besoin de substances minérales comme l’azote (élément chimique désigné par la lettre N). Or, le nitrate d’ammonium (NH₄NO₃) est riche en azote. Et cet azote peut être absorbé par les plantes.

Le procédé d’Haber est industrialisé par Bosch, et devient alors ce qu’on appelle communément le procédé Haber-Bosch.

Il faut également se replacer dans le contexte d’après-guerre : outre l’intérêt de ne pas fermer plein d’usines, en faisant du nitrate d’ammonium un engrais azoté (riche en azote), on peut stimuler le rendement des cultures. Le but premier de cette amélioration du rendement est de rendre le travail de l’agriculteur moins pénible, car à l’époque déjà peu valorisé et très dur, tout en augmentant la productivité puisque la dynamique de l’époque est de repeupler rapidement et de redévelopper l’économie. C’est donc de cette manière que la machine s’est mise en marche.

 

Pourquoi l’azote est-il si indispensable à la vie ?

 

L’azote, c’est le constituant principal des protéines. Or, les protéines jouent chez les vivants des rôles essentiels comme catalyser des réactions chimiques, développer des tissus organiques, fabriquer des hormones, des anticorps, etc. etc. Aussi, l’azote existe sous plein de formes différentes. On le trouve à l’état gazeux dans l’air (N2), à l’état organique chez les protéines, sous forme liquide également dans l’ammoniac (NH3), mais aussi dans le protoxyde d’azote (N2O), qui est un puissant gaz à effet de serre (ayant un pouvoir réchauffant 300 fois plus élevé que le CO2 à quantité égale !), ou sous forme de gaz NOx (les oxydes d’azote émis par exemple par les pots d’échappement de nos voitures thermiques). On le trouve également dissout dans l’eau sous forme de nitrates, notamment dans les sols. C’est cette forme d’azote en particulier qui est assimilable par les organismes vivants.

 

Avant le développement d’engrais, comment faisait-on ?

 

Puisque l’azote est essentiel pour les plantes, et qu’il doit se trouver principalement sous forme de nitrates pour être assimilé, on peut dès lors se demander comment faisaient les paysans d’avant-guerre pour produire en suffisance les denrées alimentaires. Car rappelons que si nous étions bien moins nombreux qu’aujourd’hui (à peine un peu plus de 1.5 milliard), la surface agricole totale d’un pays était elle aussi moins importante.

Il faut déjà savoir que les écosystèmes recyclent l’azote à l’état naturel (c’est ce qu’on appelle le cycle de l’azote). Par exemple, l’azote absorbé par un arbre se libère au travers de la décomposition de ses feuilles, et finit sous forme de nitrates dans le sol qui peuvent alors être ensuite réabsorbés par la plante via ses racines (bien foutu la Nature quand même).

 

 

Le seul souci de l’agriculture au départ c’est donc de pouvoir restituer cet azote qui est puisé pour alimenter les cultures ( + d’autres éléments nutritifs qu’on ne développera pas ici, mais qui découlent du même principe), afin de préserver le cycle et de recharger ainsi les sols en azote. Dans cette optique, 3 modes d’agriculture vont se développer au cours de notre histoire :

1) l’agriculture itinérante : on brûle toute une forêt, de manière à rendre tout l’azote des plantes et végétaux disponible pour des cultures le temps de quelques années, puis on laisse la forêt reprendre ses droits grâce aux plantes fixatrices d’azote qui sont capables de capter l’azote de l’atmosphère (évidemment, cette pratique est désastreuse d’un point de vue CO2 et même environnemental puisqu’il faut des dizaines, voire centaines d’années avant que certaines espèces ne réapparaissent et que la chaine trophique ne redevienne plus ou moins complète dans le milieu ravagé) ;

2) l’agriculture par érosion : on attend que certains espaces soient inondés lors de fortes pluies, et au moment où l’eau se retire, on profite des nitrates déposés pour cultiver (pratique exécutée dans la vallée du Nil notamment) ;

3) l’association culture – élevage (qu’on appelle aussi polyculture) : on divise les terres cultivables en 2 parcelles, l’une où l’on va cultiver (par exemple du blé), l’autre où l’on va laisser reposer la nuit les bêtes d’élevage (qui la journée vont paitre sur un autre territoire : prairie, forêt, etc.). Grâce aux excréments du bétail qui contiennent de l’azote, on prépare la jachère (surface agricole dans un premier temps non cultivée le temps de se ressourcer en nutriments) qui servira donc à cultiver l’année suivante.

Outre la possibilité de produire de la viande et du lait, cette technique permet la fertilisation des sols en azote (production de lisier et de fumier). C’est finalement celle-ci qui est la plus répandue ici en Europe à l’aube du XXe siècle.

 

Passage à l’agriculture intensive

 

La production d’engrais, comme nous venons de le voir, a permis d’améliorer le rendement des sols, c’est-à-dire finalement d’augmenter la quantité de matière organique cultivable par hectare de terre. Dès lors, beaucoup d’anciens agriculteurs ont été « libérés » du travail de la terre et ont pu s’orienter vers d’autres secteurs, comme l’industrie, pensant que leurs conditions de travail seraient meilleures (ce qui a été on ne peut plus discutable dans certains cas – travail à la mine,…). Qui plus est, cette réorientation a drastiquement réduit le nombre d’exploitations agricoles (cette tendance est par ailleurs toujours à l’ordre du jour, où nous avions en 2020 56% d’exploitations en moins par rapport à 1990) et favorisé le développement de giga structures monopolistiques, au détriment de l’agriculture paysanne locale. In fine, cela signifie que le nombre d’agriculteurs est en baisse depuis plusieurs décennies, alors que le nombre de bouches à nourrir continue d’augmenter.

Aussi, cette amélioration du rendement a non seulement mis fin à la polyculture (si ce n’est en de rares endroits plus traditionnalistes), mais a également entrainé tout un tas d’autres phénomènes pour le moins indésirables.

En effet, puisque les nitrates sont, à partir de ce moment-là, chimiquement produits, il n’y a plus vraiment d’intérêt à dédier une partie des terres cultivables à l’élevage. Ceci annoncera l’avènement de ce qu’on appelle la monoculture après la Seconde Guerre Mondiale (la pratique ne s’impose donc pas d’emblée). L’agriculture devient ainsi une activité en aval de l’industrie chimique…

Étant donné que l’agriculture et l’élevage n’ont plus besoin d’être couplés, les sols qui conviennent bien à certaines cultures en particulier, comme les céréales, vont alors se spécialiser dans la céréaliculture sans élevage afin de maximiser leurs rendements, tandis que le bétail est délocalisé vers des zones moins fertiles.

C’est notamment à partir de ce moment-là que la part de viande dans nos assiettes va significativement augmenter, au travers de l’élevage intensif et du phénomène de surconsommation que l’on connait bien à l’heure actuelle… Et naturellement, cet élevage intensif va renforcer l’agriculture intensive qui va se déployer d’autant plus pour pouvoir nourrir le bétail (environ 80% de l’agriculture dans le monde est destinée au bétail).

Qui plus est, l’élevage est réputé pour occuper beaucoup, beaucoup d’espace (plus de 65 milliards d’animaux – jusqu’à 150 milliards !!! – étant abattus chaque année dans le monde pour être mangés, il faut bien les élever quelque part…), et le passage à l’agriculture intensive ayant favorisé le découplage susnommé, cette nouvelle pratique s’est généralisée au détriment des forêts (80% de la déforestation des pays tropicaux et subtropicaux est due à l’agriculture). In fine, l’agriculture intensive a donc un impact non négligeable sur la sylviculture qui est encouragée à produire plus de ressources forestières avec moins d’espace… et donc à pratiquer la monoculture de masse, quitte à dégrader durablement les écosystèmes et à réduire la biodiversité tant nécessaire à leur maintien… 

Dès lors, puisque les sols sont dédiés à une seule culture (c’est ce qu’on appelle plus communément la monoculture comme nous l’avons vu précédemment), il nous faut importer pour le bétail du fourrage (essentiellement du soja) qui n’est pas produit localement, et exporter le reste de nos productions (céréalières par exemple) puisque l’augmentation des rendements a aussi permis de produire au-delà de nos besoins locaux (en céréales), ce qui augmente considérablement les flux (et donc la pollution atmosphérique, l’interdépendance – fragilité de nos systèmes alimentaires, l’empreinte énergétique des denrées,…).

Pour récapituler : l’élevage dépend alors de l’agriculture qui dépend, elle, de l’industrie chimique (les engrais). C’est le début de l’industrie agroalimentaire et de l’agrobusiness dans un contexte de mondialisation de plus en plus prégnant (on peut d’ailleurs se demander si cette manière de pratiquer l’agriculture n’a pas, quelque part, accéléré les choses dans ce sens)…

En France, il est estimé que 50% de la production alimentaire provient du procédé Haber-Bosch, soit des engrais azotés ! (et ces engrais azotés ne sont pas les seuls qu’on utilise : il existe aussi l’urée plus communément appelée… pipi)

Si nous venons d’évoquer, pour ainsi dire, le côté le plus gentillet et édulcoré des conséquences de l’agriculture intensive… Permettons-nous d’étudier la chose plus en détail.

 

Les conséquences

 

Les engrais azotés augmentent le rendement des sols, il est vrai. Cependant, étant donné qu’il est extrêmement compliqué de définir la quantité exacte d’azote nécessaire, les engrais sont souvent épandus en excès, ce qui a pour conséquence une surabondance de nitrates dans les sols. Par temps de pluie, ces nitrates vont être emportés par les eaux souterraines puisqu’ils sont solubles, et finir dans les nappes phréatiques (l’eau qu’on boit accessoirement), les cours d’eau (nos poissons) et dans les mers.

Or, une concentration de nitrates trop importante (au-delà de 50 mg/l) est dangereuse pour la santé et peut entrainer des maladies graves comme le cancer. Et au-delà de leur côté néfaste pour notre santé, les nitrates favorisent en milieu aquatique la prolifération de certaines espèces (plus à l’aise dans un milieu riche en nitrates). Cela a donc pour effet de bouleverser l’équilibre naturel des écosystèmes.

Parmi ces espèces prolifiques, on retrouve des algues indésirables, toxiques pour d’autres espèces, et qui peuvent entrainer l’eutrophisation du milieu : en mourant à cause de la toxicité des algues, les espèces aquatiques se décomposent en matière organique, ce qui entraine une consommation de l’oxygène du milieu alors transformé en CO2. Or, une prolifération intempestive de ces algues peut déclencher un appauvrissement du milieu en oxygène, qui est nécessaire pour la respiration de la faune aquatique, et à terme la mort de l’écosystème (qualifié à ce titre de zone morte). C’est ce qu’on peut observer par ailleurs au niveau du Mississippi aux USA.

Cette prolifération d’algues peut également entrainer une diminution de la photosynthèse car elles favorisent la production de mousse en surface, réduisant ainsi l’oxygène de l’eau, voire la mort des végétaux produisant cet oxygène, et donc risque d’aboutir à nouveau à l’eutrophisation du milieu aquatique.

En plus de ce déséquilibre absolument dramatique pour la chaine alimentaire et les écosystèmes de manière générale, cet excès en nitrates lié à l’utilisation d’engrais azotés peut se transformer, à cause de bactéries présentes dans les sols, en protoxyde d’azote N2O, qui a un pouvoir de réchauffement 300x plus élevé que le CO2 à quantité égale (sans oublier que la production d’engrais repose sur une transformation qui nécessite beaucoup d’énergie thermique et notamment fossile, fort émettrice en CO2) !

A travers l’utilisation d’engrais azotés, on génère donc des Gaz à Effet de Serre (GES) en amont (à leur production) et en aval (à leur utilisation), ce qui est d’un point de vue climatique absolument catastrophique. Ces GES produits ont d’ailleurs un impact non négligeable par rapport au méthane émis par l’élevage, et encore plus significatif vis-à-vis de la polyculture élevage.

 

 

On a aussi un problème de pollution atmosphérique via l’utilisation d’autres engrais comme l’urée : en effet, l’urée se décompose dans les sols en ammoniac (NH3) qui est alors émis et se recombine dans l’atmosphère avec les NOx de nos échappements pour former du nitrate d’ammonium en fines particules. Et naturellement, il n’est pas bon de respirer cette saloperie… Comme le précise Gilles Billen, bio-géochimiste et directeur de recherche au CNRS :

« La quantité d’azote totale apportée (chimiquement) dans le cycle mondial de l’azote, représente une quantité supérieure à celle découlant des processus naturels. L’Homme a doublé la vitesse de circulation de l’azote, c’est colossal. C’est pour ça qu’on dit qu’on est à l’anthropocène : les processus purement anthropiques sont supérieurs (dans le cas de l’azote) au fonctionnement naturel du monde« 

Autre problème, l’appauvrissement des sols. Selon ses termes :

« En intensifiant l’agriculture, on maximise la quantité de matière qu’on peut extraire. On appauvrit alors tout ce qui était nourri de ce qui n’était pas récolté (mauvaises herbes, résidus de plantes, parties racinaires). Pour tous ces organismes participant au fonctionnement de l’ensemble, leur rôle est réduit à peau de chagrin« 

Du coup, puisque tous ces organismes ne sont plus nourris, une partie d’entre eux meurent et les autres vont voir ailleurs. Les récoltes ne sont donc plus protégées par les prédateurs naturellement présents, et donc, il faut avoir recours à des pesticides pour mieux protéger ces récoltes. Or, les pesticides sont très toxiques et tuent également les prédateurs. Dès lors, ils impactent encore davantage la biodiversité et augmentent cette vulnérabilité vis-à-vis d’espèces invasives.

De ce fait, l’agriculteur, au travers de cette pratique qu’est l’agriculture intensive, est condamné à utiliser toujours plus d’engrais pour garder un bon rendement, mais aussi toujours plus de pesticides…

« Les variétés de plantes qu’on a sélectionnées pour être utilisées en monoculture, l’ont été à forte dose d’engrais : elles sont capables de pousser très vite en utilisant au maximum les engrais, au détriment de leur capacité à se défendre. Donc effectivement c’est un package : on vous livre la graine qui va avec l’engrais que vous achetez et qui nécessite les pesticides que vous achetez aussi. L’agriculture, c’est comme ça qu’elle est devenue extrêmement fragile, peu résiliente« 

Qui dit agriculture intensive et pesticides, dit chute de la biodiversité : en 30 ans, environ 25% des insectes ont disparu dans nos régions (dont 80% des insectes volants !!!), et le système agricole conventionnel serait responsable d’environ la moitié de cet effondrement…

 

 

En plus de toute cette problématique liée aux engrais de synthèse et aux pesticides, l’intensification, couplée à une sécheresse exacerbée par le réchauffement climatique (qui favorise des mégafeux toujours plus effroyables et la désertification), doit faire face à des pertes de plus en plus importantes. Particulièrement depuis 2 décennies, les périodes de sécheresse se multiplient et la canicule de 2003 a notamment permis de constater que ce type de phénomène pouvait engendrer des coûts considérables : 15 milliards d’euros de dégâts uniquement pour l’agriculture, alors que c’est uniquement le bassin méditerranéen et la France qui avaient été touchés à cette époque !

« Nous avons créé un système de production agricole qui n’arrive pas à faire face au choc climatique, notamment à cause de pratiques très intensives de culture unique. Nous portons une lourde responsabilité dans la situation actuelle » (Célia Nyssens, membre du bureau européen de l’environnement)

La sécheresse provoque également d’immenses zones couvertes d’arbres morts. A Brünswick, l’institut Thünen observe depuis 1984 l’évolution des zones boisées, et leur constat est sans appel :

« L’état de nos forêts est historiquement mauvais et révèle un taux de mortalité très élevé, notamment pour les épicéas [une essence provenant des montagnes mais qui a été importée dans nos forêts pour ses propriétés et sa pousse rapide] et le hêtre (…) Mais globalement, toutes les essences d’arbre sont touchées. La situation est très grave.« 

Les erreurs de gestion sylvicole, dont certaines ont été commises il y a plus de 100 ans, ont également de graves conséquences lors des sécheresses prolongées. Les monocultures surtout posent problème car elles sont d’autant plus sensibles aux dégâts causés par les parasites, les tempêtes et des espèces comme l’épicéa (importé en masse dans nos forêts) souffrent particulièrement de la chaleur. Il y a également l’intensification de certaines zones forestières qui peuvent aboutir à la dégradation du milieu (sols tassés/détruits par les machines devenus infertiles, homogénéisation des cultures au détriment d’une indispensable biodiversité pérennisant la forêt, coupes à blanc,…) et à la déforestation, soit à la mort de forêts.

En Allemagne, le phytobiologiste Pierre Ibisch, estime que 60% des pins sont déjà endommagés et qu’il faut absolument changer nos pratiques sylvicoles :

« La monoculture de pins, d’épicéas ou autres conifères est un modèle qui n’est plus du tout adapté à notre époque, et qu’il faut absolument abandonner »

Au final, c’est un cercle vicieux : plus il y aura réchauffement, plus il y aura sécheresse ce qui entrainera encore plus de chaleur car les écosystèmes détruits libéreront du CO2 ou capteront moins efficacement le carbone émis, ainsi que plus de pertes (forêts mortes, cultures dévastées) qui pourraient mettre à mal notre souveraineté alimentaire et la disponibilité de certaines ressources pourtant renouvelables comme le bois (sans parler des bouleversements durables des équilibres biogéochimiques essentiels à la Vie – dont la nôtre – sur Terre).

 

Conclusion : il faut changer de système

 

Comme vous l’aurez constaté, l’agriculture intensive, qui se voulait au départ un secteur de reconversion pour une partie de l’industrie chimique et un système miraculeux pour les agriculteurs (dont le principal problème était finalement plus lié aux inégalités sociales qu’autre chose), est à bien des égards extrêmement néfaste pour notre environnement : la pollution atmosphérique (et donc les émissions de GES), la biodiversité ( -75% de la biomasse des insectes volants en moins de 30 ans dans les plaines agricoles, -50% pour les oiseaux), les cycles biogéochimiques (cycle de l’eau, de l’azote,…) et même notre santé (aussi bien via la présence de nitrates dans les eaux qu’au travers des pesticides que l’on ingère) sont autant de facteurs menacés par cette pratique agricole qui date du siècle dernier.

Étant donné que l’intensification des cultures est également motivée par l’élevage (qui représente dans le monde 75% des parcelles exploitées pour l’alimentation), il est évident qu’il nous faudrait également réduire notre consommation de viande et revoir la place de l’élevage dans nos sociétés.

Quant aux exploitations sylvicoles en monoculture, elles détruisent littéralement tout ce qu’incarne la forêt et neutralisent ses fonctions écosystémiques les plus essentielles (puits de carbone, réserve de biodiversité, potabilisation de l’eau,…), indispensables au maintien des équilibres biogéochimiques et climatiques cruciaux pour notre survie et celle des autres espèces.

Au vu de tout ce que nous venons d’analyser, il apparait incontestable que tout notre système agricole comme sylvicole est à revoir, de même que la gestion des espaces verts qui est tout sauf durable actuellement. Dans un prochain article, nous discuterons ainsi de la possibilité de pratiquer autrement l’agriculture, notamment au travers de l’agroécologie et de l’agriculture biologique.

 

Sources (et pour aller plus loin) :

Greenletter Club – Engrais azotés : peut-on s’en passer pour nourrir la planète ?

Wikipedia – Le cycle de l’azote

RadioFrance – Alerte du microbiologiste Francis Martin

RTS – Pesticides : à quand la fin du carnage ?

ARTE – Sécheresse en Europe

Partager c’est sympa – La forêt française en danger

Camille Étienne – Repenser l’agriculture à l’intérieur de ses limites

Pesticide Atlas – Facts and figures about toxic chemicals in agriculture

Novethic – 80% des insectes volants ont disparu depuis 30 ans

Futura Sciences – Les populations d’insectes ont décliné de 25% en 30 ans

Wikipedia – L’eutrophisation

CAIRN.INFO – La mort des sols agricoles (de Lydia et Claude Bourguignon)

Planetoscope – L’érosion des sols dans le monde

Institut National de Santé Publique au Québec – Nitrates / Nitrites

Planet-Vie – La dégradation des sols en France et dans le monde, une catastrophe écologique ignorée

Reporterre – Déforestation : l’Amazonie a atteint son point de bascule

Reporterre – Climat : l’agriculture est la source d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre

Research Square – Greenhouse gaz emissions from global production and use of nitrogen synthetic fertilisers in agriculture

Celagri.be – Quel est l’impact de l’élevage sur les gaz à effet de serre ?

Wikipedia – impact environnemental de l’élevage