Associé aux sujets : Le crime d’écocide, Les limites planétaires, L’économie du Donut, Droits à la nature, Affaire Climat, La croissance verte
Nous avons pu le voir à travers nos différents travaux : la crise écologique que nous traversons est intimement corrélée à notre rapport aux objets, aux ressources, à l’espace, au temps, aux autres et plus généralement au vivant, en ce qu’elle ne constitue finalement qu’une suite de symptômes qui découlent d’une certaine conception de l’existence, elle-même matérialisée par des principes qui régissent nos modes d’organisation socio-économique et politique, nos cultures et idéologies, ou pour le dire autrement le système, le cadre dans lequel nous évoluons, parfois sans en avoir conscience, parfois de gré ou de force, en mal comme en bien.
Par conséquent la crise écologique, loin d’être une malédiction qui se serait fortuitement abattue sur notre civilisation, est la conséquence de nos activités humaines, qui sont elles-mêmes le produit d’un système qui balise nos actions et attitudes. En d’autres termes, l’espèce humaine est un animal social, dont la socialisation s’exerce au travers d’un cadre (ou sociosystème) défini par elle-même. Dès lors, et c’est finalement la grande particularité de notre espèce, ce sociosystème a la capacité de nous transformer nous-mêmes.
En définitive, l’être humain possède un certain pouvoir de transformation sur sa propre évolution, sur sa propre nature. Peut-être est-ce en cela qu’il a fini par autant s’éloigner des lois naturelles, nourrissant insidieusement (et peut-être même inconsciemment) la conviction selon laquelle ce pouvoir d’action sur lui-même pouvait l’y soustraire. Dans tous les cas, le cadre d’aujourd’hui s’avère incompatible avec les lois qui régissent Mère Nature : d’une certaine manière, actuellement, nous avons droit à un rappel à l’ordre.
Pourtant, certains restent convaincus que le sociosystème actuel est le fruit d’une nature humaine qui aurait été programmée dès ses débuts pour évoluer comme elle l’a fait jusqu’à aujourd’hui, ne laissant ni place au hasard, ni à la possibilité de changer le cours de notre Histoire, ce qui nous condamnerait de facto à subir ce qui nous arrive sans rien pouvoir faire.
Les mêmes tablent sur des facteurs purement biologiques, excluant ainsi la dimension sociale dans la construction des individus et balayant d’un revers de la main la majorité des travaux en sciences sociales. Car s’il n’est évidemment pas à exclure que certains paramètres purement biologiques façonnent certains de nos comportements, nous ne pouvons justifier ces derniers sans également tenir compte des paramètres psychosociaux produits par la société elle-même, au risque de tomber dans un déterminisme fataliste, ou encore dans une forme d’acceptation de l’assombrissement de notre avenir commun car telle serait notre fatale destinée, avec un humain arrivé au bout de sa capacité à s’adapter et à changer ses rapports au monde.
Or, si la rétroaction d’un sociosystème a le pouvoir de nous changer, cela signifie que nous ne sommes pas des produits prédéterminés et que nos comportements, voire même l’expression de nos gènes n’évoluent pas selon des lois naturelles figées dans le marbre. Il reste donc que le sociosystème est une fonction complexe et caractérisée par une multitude de facteurs interdépendants, pour certains (si pas la plupart) d’entre eux non invariants. Parmi ces facteurs, sur lesquels l’on peut et doit jouer pour entrevoir des actions individuelles et collectives plus en phase avec les enjeux qui nous submergent, il y a bien entendu le cadre, c’est-à-dire les normes et lois qui définissent et balisent notre société ainsi que nos comportements.
Dans cette optique, a émergé depuis quelques décennies maintenant un principe juridique qui considère toute activité substantiellement néfaste à l’égard de la Nature (le vivant et les écosystèmes) comme un crime. Ce principe, c’est l’écocide.
1) Définition du principe d’écocide
D’un point de vue étymologique, la notion d’écocide provient du grec oïkos qui signifie maison, et du latin occidere qui veut dire tuer. Littéralement, ce terme désigne la destruction de nos conditions d’habitabilité, soit de la Nature, du monde vivant.
Sur le plan juridique, l’écocide consiste donc à reconnaitre des activités comme illégales et punissables par la loi si jugées prédatrices (de par leur intensité, leur occurrence, leur nature,…) à l’égard des écosystèmes et de leur stabilité naturelle, ou encore compromettantes vis-à-vis de la préservation d’un territoire ou, à plus large échelle, d’une planète vivable. En définitive, le crime d’écocide a pour objectif de faire reconnaitre, dans l’ensemble des pays du monde, la responsabilité des entreprises, États et citoyens les plus impliqués dans la manifestation de la crise écologique (en portant de graves atteintes à l’environnement), en vue de pouvoir les juger et les sanctionner à la hauteur des bouleversements qu’ils génèrent.
Naturellement et à l’inverse, le propos du principe n’est pas de condamner toute activité qui aurait une empreinte écologique faible ou modérée, tant il est évident que toute activité humaine et même vivante a des impacts sur l’environnement qui l’entoure, mais plutôt de sanctionner celles qui constituent un véritable danger pour notre subsistance à tous, engendreraient d’irrémédiables bouleversements (comme l’intensification du réchauffement climatique via les activités des compagnies pétrolières par exemple) et qui pourraient être évitées par un changement d’organisation, de principes ou encore de pratiques, en pointant les principaux responsables.
Surtout envisagé sur le plan international afin que la destruction grave et généralisée de la nature soit reconnue comme 5e crime international à la Cour pénale internationale (CPI), au même titre que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les actes d’agression, l’écocide peut également être reconnu à une échelle nationale, voire plus locale encore.
C’est le cas par exemple de l’Équateur, qui est le premier pays à avoir fait figurer cette notion dans sa constitution, dès 2008. Des fleuves, lacs, rivières se sont aussi déjà vu attribuer une personnalité juridique en Nouvelle-Zélande, au Bangladesh, en Amérique du Nord [¹].
Une définition mondialement consensuelle du crime d’écocide n’existe pas encore, ce principe n’étant pas encore reconnu partout. Nous pouvons cependant nous baser sur celle qui émane du groupe d’experts indépendants convoqués par la fondation Stop Écocide (juin 2021) :
« Actes illicites ou arbitraires commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables » [²]
2) Donner des droits à la Nature
Au-delà du fait d’avoir un cadre juridique plus adapté à la protection du monde vivant, l’idée est également de reconnaitre la Nature comme personnalité juridique à part entière. En effet, nous pourrions considérer les atteintes à l’environnement par défaut comme des crimes contre l’humanité, dans l’optique où celles-ci menacent nos conditions d’existence. Cependant, cette approche se heurte à des limites et notamment :
– elle suggère que ces atteintes seraient criminelles uniquement parce qu’elles impacteraient l’Homme, négligeant ainsi dans une certaine mesure toutes les dramatiques répercussions sur le reste du vivant, d’autant plus si ces impacts sur l’être humain sont indirects et peu perceptibles sur une échelle de temps courte ;
– elle restreint le droit dans une approche anthropocentrée, considérant automatiquement la Nature (le reste du vivant, les ressources naturelles, l’environnement) comme inférieure (en tout cas sur le plan juridique) et fondamentalement moins importante que l’humanité et ses activités, faisant d’elle une entité subordonnée, à notre service et dont on peut se soustraire, voire se substituer.
« À l’heure actuelle, la personnalité juridique n’est pas attribuée qu’aux seules personnes humaines : des entités morales comme les entreprises ou les associations en sont également pourvues. Elles peuvent ainsi faire valoir leurs droits. C’est cette possibilité que nous voulons voir mise en place pour la nature […] Il s’agit de reconnaître pour un élément de la nature, le droit d’exister, de se régénérer, de s’épanouir, de perdurer … » [¹]
Or, sans Nature, toute vie sur Terre serait impossible, dont la nôtre ! Donner des droits à la Nature, c’est donc rendre à celle-ci ses lettres de noblesse et reconnaitre ce côté sacré dont dépendent nos vies, au même titre que nos semblables ! Le crime d’écocide ne peut être seulement reconnu dans le cadre du crime contre l’humanité, et doit être pensé comme un crime autonome, c’est-à-dire une catégorie à part entière. A ce sujet, les propos de Valérie Cabanes, juriste en droit international :
« Pourquoi ? Parce que face aux enjeux de la crise écologique et de la crise climatique, on s’est rendu compte que tout le droit de l’environnement international et ensuite européen et national, avait été construit autour de la même valeur pivot, qui a préexisté aux droits humains, c’est-à-dire un droit anthropocentré, qui va regarder ce qui se passe seulement par rapport à l’humain. Pour protéger les conditions de vie des générations futures, on est dans l’obligation de reconnaitre aujourd’hui que cette échelle de norme n’est plus satisfaisante pour protéger notre avenir commun« . [³]
« Il nous faut d’abord reconnaitre que nous avons des liens d’interdépendance avec le reste du vivant, que nous ne pouvons pas survivre sans maintenir la vie sur Terre (…) Ces règles qui régissent les lois du vivant, ne sont aujourd’hui pas protégées. Donc si l’on ne reconnait pas aux éléments de la Nature leurs droits à exister, à se régénérer, à évoluer, nous sommes dans une situation où nous n’allons plus pouvoir garantir les droits fondamentaux des humains à l’eau, l’air, l’alimentation, la santé, l’habitat. » [³]
Le crime d’écocide permet ainsi d’adopter une vision écosystémique : il faut pouvoir poursuivre des atteintes graves faites aux systèmes écologiques et reconnaitre des communs planétaires, c’est-à-dire des zones qui ne sont pas sous la souveraineté (ni la propriété) d’un État ni même d’une entreprise ou encore d’individus, car relatives au bien commun de tous les vivants.
Vitaux, les écosystèmes doivent être protégés à tout prix, en évitant qu’ils ne tombent entre de mauvaises mains, ne soient utilisés à mauvais escient ou pour satisfaire des intérêts particuliers potentiellement néfastes aux intérêts communs. Voilà pourquoi il faut leur reconnaitre des droits !
3) Criminaliser l’écocide à la Cour Pénale Internationale
La notion de crime a ici toute son importance, car extrêmement lourde de sanctions pour ceux qui commettraient de tels actes, et c’est justement le but. Continuer à détruire nos écosystèmes en conservant nos modes de production et de consommation prédateurs est un crime contre le vivant, et c’est bien dans ce sens que le crime d’écocide doit être juridiquement défini.
L’intérêt de faire reconnaitre l’écocide à la cour pénale internationale (CPI), est donc non seulement de poursuivre les crimes commis par des ressortissants des Etats membres de la CPI (et l’on peut regretter que des États puissants comme la Chine, l’Inde, les USA ou encore la Russie n’en fassent pas partie), mais aussi de poursuivre les crimes commis sur le territoire d’un pays membre par des citoyens d’un pays non membre.
Par ailleurs, les entreprises, qui sont quelquefois bien plus puissantes que certains États, rendent généralement les poursuites difficiles. La reconnaissance internationale du crime d’écocide par la CPI pourrait donc être un outil supplémentaire important pour les contraindre à assumer leurs responsabilités et réparer les dommages causés par leurs pratiques néfastes. [⁴]
Cet outil juridique pourrait donc constituer un atout crucial, parce qu’il est l’un des rares leviers à pouvoir condamner non seulement les pratiques mortifères d’entreprises sur des terres non protégées (par ex. la déforestation), mais aussi pour le coup faire pression sur les États pour que des politiques plus ambitieuses en matière écologique soient mises en place.
En reconnaissant la Nature comme une entité dont il nous faut prendre soin et vis-à-vis de laquelle nous avons une certaine responsabilité, on donne également au droit un champ d’action non plus anthropocentré mais beaucoup plus global, ce qui permet de sortir d’une conception de l’Homme maitre de la Nature.
Enfin, le crime décocide se veut être un dispositif préventif : il faut des sanctions fortes comme la dissolution d’une entreprise ou la condamnation des supérieurs hiérarchiques selon la gravité des faits, dans le but de générer un effet dissuasif et réagir avant que le mal n’ait lieu.
En outre, à la place de pénalement sanctionner sur base d’une intention (comme on le ferait pour d’autres crimes), l’idée est de reposer sur le principe de précaution (art. 15 de la Déclaration de Rio), avec une obligation de vigilance environnementale et sanitaire à l’échelle globale. Comme le souligne Valérie Cabanes :
« La personnalité juridique permet d’agir en amont des dégâts, et non plus seulement au titre des demandes de réparation pour préjudices subis, une fois que la catastrophe a eu lieu. » [¹]
Notamment, l’application du principe d’écocide doit permettre d’ordonner la suspension de projets industriels dangereux ou fortement émetteurs avant même de constater toute l’étendue des dégâts, par le biais de mesures veillant à la conservation d’une ressource ou d’un patrimoine naturel.
« Dès les résultats d’une étude d’impact environnemental en phase de pré-projet industriel, les citoyens saisiraient le procureur international en cas de risque d’écocide. Ainsi les acteurs politiques et économiques agiraient-ils en fonction d’un cadre réglementaire supranational » [⁵]
La Belgique s’est par ailleurs prononcée en faveur de la reconnaissance du crime d’écocide, en s’engageant à déposer un amendement à la CPI [⁶] en vue de réviser le statut de Rome (traité international qui définit les crimes internationaux) [⁷], ce qui est plutôt une bonne chose.
Seul bémol : pour que le crime d’écocide soit reconnu par la CPI, il faut que la majorité des 123 États qui reconnaissent la CPI acceptent de traiter et d’adopter l’amendement [⁸]. Un processus relativement long…
Ci-dessous, quelques exemples d’activités qui pourraient être poursuivies si le crime d’écocide était adopté par la CPI [⁸] :
4) Principe de base : l’économie du Donut
Philosophiquement parlant, le principe d’écocide nous invite finalement à renouer avec ce qui nous a donné la vie, non pas dans une relation de prédation et de domination, ou encore dans une vaine tentative de totalement s’affranchir, aller à l’encontre des lois fondamentales qui nous définissent, mais plutôt de les accepter dans une logique de préservation, de coopération et d’humilité : c’est avant tout conscientiser le fait que sans le reste du vivant (y compris nos semblables) et sans notre magnifique planète bleue, nous ne sommes rien.
Or, à l’heure actuelle, notre système de gouvernance est surtout en charge d’organiser la société et ses activités autour de l’économie capitaliste, mobilisant dès lors et par défaut les écosystèmes au service du système économique… Un non sens total dans la mesure où l’on tente vainement d’imposer aux lois physiques des lois économiques inadaptées à celles-ci. Tout ceci démontre que la dimension écosystémique n’est absolument pas intégrée dans nos activités [¹⁰].
Ne faudrait-il pas plutôt que l’économie soit au service de la société et de la biosphère, en tenant compte à la fois des limites planétaires mais aussi des limites sociales ? Cette approche renversée, c’est l’économie du Donut.
Théorisée par l’économiste Kate Raworth, l’économie du Donut propose un schéma reposant sur un ensemble d’indicateurs sociaux et écologiques, sur base desquels l’on pourrait mesurer la capacité d’une économie à répondre aux besoins fondamentaux des individus (le « fondement social« ), tout en garantissant des conditions d’habitabilité à la fois décentes et durables pour les générations actuelle et futures. Cette garantie passe naturellement par un respect des limites écologiques (le « plafond écologique« ).
Dès lors, ce schéma s’appuie à la fois sur les conclusions de la communauté scientifique en matière de dépassement des limites planétaires, mais tient également compte des travaux sociologiques et anthropologiques qui ont cherché à définir les besoins humains fondamentaux [⁹].
In fine, cette approche propose de repenser nos règles de gouvernance en fonction des lois biophysiques inviolables (« le plafond écologique »), conformément aux 9 limites planétaires déterminées par le Stockholm Resilience Center, et d’un « plancher social » correspondant aux exigences sociales minimales à respecter pour une vie digne et décente.
Pour le dire autrement, l’économie du Donut constitue une invitation à changer de paradigme. Si ce changement s’appuie notamment sur la création d’une nouvelle constitution pour inclure les droits de l’Homme et de l’humanité dans les droits de la Nature, rompant ainsi avec l’approche anthropocentrée usuelle, la reconnaissance du crime d’écocide sur la scène internationale pourrait également constituer un tremplin pour encourager les États, les entreprises et les citoyens à repenser notre modèle socio-économique dans ce sens.
« De manière générale, le droit en Europe est très anthropocentré et ne peut être mis en œuvre que lorsque l’on déplore des victimes humaines. Il est urgent que les mentalités évoluent et que l’on prenne conscience de l’interdépendance de tous les organismes vivants » (Valérie Cabanes) [¹]
A l’heure actuelle, la représentation, suivant le schéma du Donut, du système socio-économique mondial, révèle un important dépassement de la plupart des limites planétaires (à l’instar de ce qu’on avait présenté dans notre article sur le sujet) ainsi que d’importants manquements sur le plan social [¹¹].
Au-delà de la crise écologique et même d’un point de vue social uniquement, il est donc urgent de changer de système, l’amélioration (même drastique) du système existant (fondé sur la croissance) n’étant pas suffisante, compte tenu des principes sur lesquels il repose (marchandisation, accumulation, productivisme et consumérisme, compétition permanente, culte de l’individu,…) – entre autres nourris par le capitalisme et l’idéologie néolibérale – et de leur incompatibilité notoire avec un monde respectueux des limites socio-écologiques (cf. notre article sur les limites à la croissance) !
Le crime d’écocide pourra-t-il accompagner ce changement de mentalités grandissant ? Du côté de TSEB, nous l’espérons bien évidemment !
5) En Belgique : l’Affaire Climat
Même s’il y a encore du chemin avant que le crime d’écocide ne soit adopté par la Cour Pénale Internationale et un peu partout dans le monde, et bien que notre pays fasse partie des premières nations à recommander la reconnaissance du crime d’écocide sur la scène internationale, en plus d’intégrer le crime d’écocide dans la version modernisée de son Code pénal (version qui ne sera pas effective avant 2025) [¹²]. les actions orchestrées par l’État belge dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique restent actuellement bien en deçà de ce qui est nécessaire pour respecter l’accord de Paris, que l’on peut résumer par une limitation du réchauffement climatique entre 1,5 et 2°C.
Pour ce faire, la moyenne des émissions de gaz à effet de serre (équivalent CO2) par habitant devrait être d’environ 2t d’ici 2050, contre 16t actuellement (plus d’infos sur comment les réduire ICI) ! Il faudrait donc que les émissions nationales baissent de 7 à 8% par an à compter de 2020, ce qui est très loin d’être le cas même encore aujourd’hui, en 2023 !
« Depuis 2014, les émissions belges de gaz à effet de serre ne diminuent plus. Pourtant, elles devraient diminuer d’environ 35% d’ici 2030. Avec les plans actuels nous n’allons pas y arriver en 2030 » (Pieter Boussemaere, expert climatique) [¹³]
Or, la responsabilité de l’État belge dans cette affaire n’est absolument pas négligeable, car ses engagements impliquent des changements systémiques majeurs qui ne peuvent uniquement reposer sur des gestes individuels, comme nous l’avions démontré à travers le prisme des inégalités sociales et en explorant les pistes de réduction des émissions par personne. Ainsi, puisque l’État manque à ses engagements, il est tout à fait légitime que les instances dirigeantes du pays soient poursuivies pour violation des droits humains à travers son inaction, engageant ainsi la responsabilité civile de l’État [¹⁴].
Même si l’ASBL Klimaatzaak et ses 67000 co-demandeurs ont obtenu gain de cause auprès du tribunal de Première instance de Bruxelles en juin 2021, force est de constater que rien n’a vraiment bougé depuis. En effet, cette condamnation revêt davantage un caractère symbolique qu’autre chose, l’État belge n’ayant fait l’objet d’aucune sanction contraignante.
« Dans les mois qui ont suivi le verdict, il n’y a pas eu le moindre indice démontrant que les politiciens allaient prendre ce verdict au sérieux (…) L’Affaire Climat fait donc appel, pour protéger les droits de l’homme des 58 000 co-demandeurs de l’Affaire Climat et de tous les autres citoyens de ce pays. Nous allons à nouveau saisir la justice pour demander que des objectifs contraignants de réduction des émissions soient imposés aux gouvernements, les obligeant à faire leur part pour éviter un dangereux réchauffement climatique » [¹⁵]
L’objectif avoué par Klimaatzaak est cette fois-ci « d’imposer à nos gouvernements une voie obligatoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre par laquelle notre pays assumerait sa part minimale de responsabilité dans la prévention d’un dangereux réchauffement climatique » [¹⁵]. Espérons que la manœuvre porte ses fruits…
L’écocide pour embrayer le changement
S’il est évident que la reconnaissance du crime d’écocide ne surviendra pas demain matin (encore moins sur la scène internationale), nous pouvons d’une part constater que notre pays s’est déjà engagé dans cette voie, et d’autre part que l’État belge est déjà dans le collimateur de la justice. Alors certes les procédures sont chronophages et parfois même stratégiquement retardées (cassation, audiences reportées,…), mais la pression citoyenne se fait de plus en plus ressentir.
Nous pouvons également admettre que reconnaitre tout acte écocidaire comme criminel ne peut suffire à organiser les transformations structurelles qui s’imposent, bien qu’il s’agisse d’un outil juridique incroyablement pertinent pour accompagner ces changements.
Il faut cependant garder à l’esprit que totalement repenser le système dans lequel nous vivons, est un enjeu politique avant toute chose, et en particulier démocratique, tant il semble hasardeux de laisser à « quelques » représentants (qui nous représentent souvent bien mal, en plus d’être relativement déconnectés de la réalité pour certains, il faut l’avouer) le soin d’imaginer et mettre en place un système alternatif construit sur base de l’économie du Donut et en dehors de la croissance : relever un tel défi sans intelligence collective est quelque peu suicidaire.
Or, l’implémentation d’une intelligence collective en bonne et due forme repose sur un système démocratique sain. Mais sommes-nous vraiment en démocratie ? Et dans le cas contraire, quelles pistes pourrions-nous explorer pour améliorer le caractère démocratique de nos institutions socio-politiques ? Éléments de réponse dans un prochain article !
Sources (et pour aller plus loin) :
– [²] Stop Ecocide – Définition légale de l’écocide complétée
– [³] Reporterre – Valérie Cabanes : qu’est-ce que le crime d’écocide ?
– [⁴] CNCD-11.11.11 – « ECOCIDE » : VERS LA PÉNALISATION DES CRIMES GRAVES CONTRE L’ENVIRONNEMENT ?
– [⁵] CAIRN.INFO – Valérie Cabanes – Reconnaitre le crime d’écocide
– [⁶] Novethic – La Belgique ouvre la voie à une reconnaissance mondiale du crime d’écocide
– [⁷] Wikipedia – Statut de Rome
– [⁸] Lumni – Crime d’écocide de quoi parle-t-on ?
– [⁹] Centre Avec – Le « Donut », nouvelle boussole pour l’humanité
– [¹⁰] La République Écologique – séminaire de Valérie Cabanes
– [¹¹] Doughnut Economics Action Lab – Doughnut Economics
– [¹²] EURACTIV – L’écocide fait son entrée dans le code pénal belge
– [¹⁴] CNCD-11.11.11 – Affaire climat : la Belgique condamnée pour inaction climatique
– [¹⁵] L’Affaire Climat – Le déroulement de l’Affaire Climat
– Usbek & Rica – Kate Raworth : « Nous devons briser notre dépendance à la croissance »