Associé aux sujets : Les métaux rares, Épuisement des ressources, Les limites du recyclage, La croissance verte, La décroissance, Consommation énergétique

L’état catastrophique de notre biosphère (et par conséquent, l’urgence de développer des sociétés plus écologiques) n’étant plus à prouver, il reste cependant à déterminer comment orienter ces transformations structurelles, de manière à ce que leur efficacité permette de limiter et stopper le plus vite possible le réchauffement climatique, l’effondrement du vivant, la destruction de nos sols, les pollutions et perturbations des cycles biogéochimiques. Et dans la mesure où les changements de comportement à l’échelle individuelle sont nécessaires mais très largement insuffisants, cela implique des modifications d’ordre systémique qui prennent en considération toute la complexité des interactions entre notre manière de vivre, d’occuper l’espace, d’organiser nos façons de produire/consommer et plus largement nos rapports avec les écosystèmes, avec les autres et le reste du vivant.

A ce titre, nous vous proposons d’analyser ce qu’impliquerait une transition énergétique, en particulier au niveau des métaux rares qui constituent des ressources ( = matières premières) essentielles sans lesquelles ce concept ne pourrait être envisagé. Mais vous allez voir qu’a priori, la transition énergétique (dans son sens usuel, celui reconnu et employé par les dirigeants) n’est pas encore près d’avoir lieu…

 

1) Transition énergétique : de quoi parle-t-on ?

 

Dans l’imaginaire collectif, la transition énergétique consiste à faire en sorte que notre système, reposant majoritairement sur des énergies fossiles, n’en dépende plus et emploie essentiellement des énergies dites décarbonées à la place, moyennant certains changements dans nos systèmes de production d’énergie, procédés industriels,… Grosso modo, c’est l’adaptation, la transformation ainsi que le remplacement de toutes les infrastructures consommatrices d’énergie fossile, en infrastructures dont les sources d’énergie sont décarbonées (le nucléaire et les renouvelables).

Suivant cette définition, la transition énergétique dépendrait donc surtout d’innovations et progrès techniques et pas tellement des transformations socio-systémiques évoquées en introduction. En effet, il est vrai qu’à partir du moment où l’on pense possible, dans l’économie actuelle, de remplacer une certaine forme d’énergie par une autre (on parle dans ce cas de substitution), il « suffirait » alors d’adapter les infrastructures énergétiques et moyens de production pour continuer à faire tourner l’économie (et donc la société) de la même façon.

Vous l’aurez compris : le premier objectif des défenseurs de la transition énergétique telle que promue par les gouvernements, est avant tout de maintenir autant que possible l’ordre social existant ( = le monde tel que nous le connaissons, orienté vers la croissance du PIB) en tapant non plus dans des ressources qui polluent, réchauffent la planète (et s’épuisent accessoirement), mais dans des ressources soi-disant plus « écolo-friendly ». Et nous vous le donnons en mille, ces ressources sont minérales, métalliques et incluent entre autres ces fameux métaux rares indispensables à l’élaboration des systèmes de production d’énergie renouvelable…

Au-delà de se demander si le monde actuel est souhaitable et désirable à long terme (et s’il faut par conséquent le maintenir), la question est de savoir si une telle transition pourrait physiquement (d’un point de vue ressources, déploiement et transformation des infrastructures) avoir lieu dans un système socio-économique voué à toujours plus de production et de consommation de biens et services, et si elle n’engendrerait pas toute une série d’impacts significatifs sur la biosphère. Parce qu’il est bien beau de vouloir limiter le réchauffement climatique (encore faut-il que la limitation soit suffisamment importante et rapide, cf. l’accord de Paris), mais si cela implique d’autres formes de pollutions impossibles à absorber par la biosphère, d’autres perturbations des cycles naturels, toujours plus de dégradations et destructions des écosystèmes et un effondrement toujours plus dramatique du vivant, on n’aura pas vraiment changé la donne

Compte tenu de la densité d’un tel sujet et afin de rendre le contenu digeste, nous analyserons dans cet article la pertinence de la transition énergétique à travers les métaux rares et l’évolution de la consommation énergétique, et reviendrons sur d’autres aspects dans de prochains articles et travaux.

 

2) Des hypothèses très (très) optimistes

 

Comme indiqué dans notre article sur l’évolution de la consommation énergétique, d’un point de vue statistique, nous assistons à un changement de tendance qui se traduit par un plafonnement de la consommation totale d’énergie dans le monde. Ce plafonnement est notamment lié à l’épuisement inévitable des gisements exploitables de gaz et de pétrole, qui se traduit par l’approche d’un pic de production de pétrole et de gaz. En effet, selon Jean-Marc Jancovici, le pic pétrolier est sur le point d’être atteint (si ce n’est déjà le cas) et il en sera de même pour le gaz à l’horizon 2040. Or, gaz et pétrole représentent à eux seuls plus de 50% de l’énergie mondiale, alors que le solaire et l’éolien représentent ensemble moins de 5%, même si la part qu’ils occupent dans le mix énergétique mondial est en croissance.

D’autant que pour limiter réchauffement à 2°C d’ici fin du siècle, il faudrait qu’à l’échelle mondiale, un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % des réserves actuelles de charbon restent inutilisées de 2010 à 2050 (les réserves désignant les gisements actuellement recensés/exploitables) ! Si on attend d’aller jusqu’à l’épuisement des ressources fossiles, on court quand même à la catastrophe climatique, en plus d’être matériellement très contraints et de ne pas avoir organisé, planifié cette contraction !

Par conséquent, nous y reviendrons mais il faudrait une vitesse de déploiement des renouvelables bien plus importante que celle observée lors de la dernière décennie pour espérer remplacer suffisamment rapidement les infrastructures fossiles par des infrastructures fonctionnant aux énergies renouvelables (EnR) afin de limiter le réchauffement climatique entre 1.5°C et 2°C tout en restant dans un monde en croissance. Pas dans 10 ou 20 ans, dès aujourd’hui et pendant des décennies.

« Le charbon a mis cinquante ans pour passer de 5 % à 40 % de la part d’énergie primaire. Le pétrole a mis cinquante ans pour passer de 5 % à 30 % et le gaz naturel a mis cinquante ans mais pour passer de 5 % à 20 %. On remarque que les échelles de temps s’allongent sur ces trois exemples (…) car la consommation énergétique mondiale augmente et il devient de plus en plus difficile d’atteindre une certaine part du marché (…) il est de plus en plus dur de suivre le rythme » (Grégory de Temmerman, docteur en physique expérimentale et chercheur, dans l’ouvrage « Chimie et énergies nouvelles », chap. 3 pg 66)

Rappelons également que l’électricité représente environ 20% de l’énergie consommée dans le monde, et que les EnR (hors hydroélectricité) correspondent à 13% de la production électrique mondiale, dont environ 10% sont à imputer au solaire et à l’éolien (le nucléaire, également 10%). Un rapide calcul permet donc de comprendre que pour décarboner l’électricité mondiale, il faudrait déjà multiplier d’un facteur 4 à 5 la production d’électricité solaire/éolienne et qu’après l’opération, il resterait encore 80% de l’économie à décarboner (à consommation constante, c’est-à-dire sans même envisager de croissance économique) !

Or, le solaire et l’éolien en particulier sont très dépendants des métaux, qui sont des ressources finies (épuisables). Dans ce contexte, peut-on multiplier leur demande actuelle d’un facteur 10 (voire plus) et surtout l’augmenter durablement ? Rien n’est moins sûr… A ce titre, voici les conclusions d’un rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) sur le sujet, sur base de leur scénario « neutralité carbone » (très optimiste car misant sur des progrès techniques inédits, mais nous prendrons la peine de revenir sur la pertinence de leurs hypothèses dans un prochain article) :

« Un effort concerté pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris signifierait un quadruplement des besoins en minéraux pour les technologies énergétiques propres d’ici 2040 […] Dans le cadre d’un scénario compatible [avec un réchauffement limité à + 2 °C], on estime que l’offre des mines existantes et des projets en cours ne permettra de satisfaire que la moitié des besoins prévus en lithium et en cobalt, et 80 % des besoins en cuivre d’ici à 2030″ [¹]

L’une des causes à ces potentiels problèmes d’approvisionnement, est incontestablement le délai entre découverte/mise en œuvre d’un gisement et production effective, généralement compris entre 10 et 15 ans pour la plupart des activités minières (pg 19) [¹], sans même évoquer les ressources nécessaires à celles-ci, qui peuvent concurrencer certains usages.

Par conséquent, même dans un contexte relativement favorable pour les décennies à venir, où nous parviendrions à mettre en place le scénario de l’AIE (et nous n’en prenons pas du tout le chemin), des tensions d’approvisionnement risquent grandement d’émerger. Gardons également à l’esprit que les ressources métalliques nécessaires sont aujourd’hui extraites grâce à des méthodes qui fonctionnent essentiellement aux énergies fossiles.

Or, rien ne nous dit que ces méthodes d’extraction pourront être totalement décarbonées : sachant que l’extraction des métaux rares est l’une des plus énergivores et que leur demande va exploser dans les prochaines décennies, il serait assez périlleux aujourd’hui d’affirmer qu’une telle substitution, c’est-à-dire le remplacement d’une grande partie des énergies fossiles par des renouvelables dans un contexte de croissance économique, se passera sans encombre… Mais c’est un aspect que nous pourrions analyser plus en détail ultérieurement.

 

3) Une affaire d’empilement et non de substitution

 

Au-delà des toutes ces projections, nous pouvons déjà tirer certaines conclusions au regard du passé. Depuis 2 siècles au moins, les sources d’énergie ne se remplacent pas les unes par les autres, elles s’empilent et s’accumulent. Pire même, mis à part la production énergétique de la biomasse qui est restée à peu près constante depuis, elles ont toutes continué d’augmenter. D’un point de vue historique, une transition énergétique au sens de remplacement intégral d’une forme d’énergie par une autre, n’a donc jamais existé dans l’économie contemporaine, c’est-à-dire une économie dont la taille n’a fait qu’augmenter ! D’après Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l’environnement et chercheur au CNRS [²] :

– le bois énergie a explosé depuis les années 1970 dans le monde ;
– le charbon, contrairement aux idées reçues, est une énergie très moderne toujours en essor : à travers le monde, les centrales à charbon ont un âge moyen de 15 ans alors que par exemple les centrales nucléaires ont un âge moyen de 31 ans !

Par ailleurs, l’Europe est leader mondial des machines minières : le boom technologique de celles-ci permet l’exploitation de mines de charbon à ciel ouvert avec une grosse productivité, ce qui fait que le charbon occupe toujours une place de choix dans le mix énergétique mondial.

Contrairement aux idées reçues, le charbon est donc loin d’être une énergie « dépassée » et les avancées technologiques ne sont pas du tout exclusivement en faveur des énergies décarbonées ! Pour étayer ce propos, penchons-nous sur la consommation de charbon française (essentiellement indirecte via tout ce qu’elle importe) : celle-ci reste très élevée (source d’énergie très polluante pourtant), de l’ordre de 70 millions de tonnes, et a à peine baissé depuis le pic d’extraction de la France du début des années 1960 (85 millions de tonnes) !

Enfin, l’acier (notamment très utile pour les EnR et voitures électriques) et le ciment sont très difficiles à décarboner, car nécessitent du coke (charbon) : pour exploiter beaucoup de technologies dites « bas carbone », on aura toujours besoin d’énergie fossile et en grosse quantité… sauf si on réduit drastiquement les besoins en énergie et en matière de l’économie ! Mais ce n’est pas le choix politique que nous sommes en train de faire, que ce soit au niveau national ou international et il y a des limites physiques auxquelles nous ne pourrons échapper…

« Au niveau du transport électrique [par exemple], une voiture (qu’elle soit électrique ou pas), 70% de sa masse c’est de l’acier et on n’arrivera pas à décarboner la production d’acier à l’horizon 2030-2040… Si vous gardez un système équivalent, avec 1.7 Mds de voitures individuelles non plus thermiques mais électriques dans le monde, ce n’est pas ça qui changera la donne. [Ce qu’il faudrait faire] : réduire drastiquement le poids des automobiles, avoir des voitures hyper légères très peu puissantes couplées à un réseau ferroviaire et des transports en commun qui fonctionnent » (Jean-Baptiste Fressoz, interview du GreenLetter Club)

N.B. : pour en savoir plus sur la pertinence d’une électrification du parc automobile en Belgique, vous pouvez consulter notre rapport 2 sur la mobilité belge.

Dès lors, croire qu’une telle substitution aura lieu dans un contexte de croissance (produire et consommer toujours plus) semble assez illusoire, qui plus est si l’on regarde les horizons de temps que nous avons pour « stabiliser » la crise écologique. Dans ces conditions, peut-on parler de transition énergétique sans évoquer l’organisation d’une véritable descente énergétique et matérielle, et donc la mise en place de changements structurels profonds ? Chez TSEB en tout cas, nous n’y croyons pas une seule seconde, pas plus qu’au miracle technologique.

« Il n’y a aucune analogie historique pour voir l’énormité de ce qu’il faut faire […] L’enjeu n’est pas tant comment on produit l’énergie, plutôt ce qu’on en fait et comment on la consomme (…) On doit être contre des technologies pas très utiles [absolument pas indispensables] » (Jean-Baptiste Fressoz) [²]

Le décor étant planté, ne nous contentons pas de cette première analyse et tentons de voir ce que donnerait une transition énergétique dans le cadre d’une économie conventionnelle (en recherche de croissance perpétuelle du PIB) sur le plan des métaux rares…

 

4) Une consommation de matière galopante

 

Depuis environ 2 siècles, la demande en énergie et en matière a augmenté de façon exponentielle. Rien qu’au siècle dernier, la consommation de matières premières a été multipliée par 8 (elle a plus que triplé ces 50 dernières années !!) et la consommation de matières premières par habitant n’a cessé de croitre, ce qui fait qu’elle augmente plus vite que la taille de la population. Aujourd’hui en Europe, l’empreinte matière est d’environ 14 tonnes par habitant, c’est-à-dire que nous consommons en moyenne (directement ou indirectement) 14 tonnes de matériaux par tête de pipe. Un chiffre effarant !

Il existe cependant d’importantes disparités suivant les revenus. Dans les pays les plus riches, l’empreinte matière est en moyenne de 27 tonnes par habitant, contre 2 tonnes pour les pays les plus pauvres ! Par ailleurs, nous n’avons jamais extrait autant de matières premières qu’aujourd’hui : en 2017, 92 milliards de tonnes de matières premières ont été extraites dans le monde, et si les tendances actuelles se poursuivent, la masse totale extraite pourrait doubler d’ici 2060 [³] !

Concernant les métaux, la même tendance peut s’observer : la consommation de cuivre a été multipliée par 5 entre la fin des années 1950 et 2015 (celle de l’aluminium par plus de 10 !), et « on assiste depuis les années 1960 à une croissance généralisée des besoins en métaux dans le monde, cette croissance étant bien plus rapide que celle de la population mondiale » [].

Ci-dessous, l’évolution historique de différents indicateurs de prospérité et activité humaine d’après Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS (2017) [] :

Par ailleurs, la quantité de métaux à produire en partant de 2018 jusqu’à l’horizon 2050, pourrait dépasser la quantité cumulée produite depuis l’Antiquité ! [¹⁶]

Autre information cruciale : « cette croissance ne porte pas uniquement sur la quantité en tonnes de métal consommée chaque année, mais aussi sur la variété des métaux sollicités » []. Quand on sait qu’il faut 70 kg de matières premières pour fabriquer une smartphone [], on comprend mieux pourquoi…

 

5) Notre dépendance aux métaux, présente et à venir

 

Avant d’aller dans le dur, permettons-nous de clarifier certains termes souvent trompeurs :

– les métaux stratégiques désignent bien les métaux de base cruciaux sur lesquels notre activité industrielle repose ;
– les métaux rares représentent l’ensemble des métaux classés suivant leur rareté et problématiques d’approvisionnement (notamment parce qu’ils sont inégalement répartis sur le globe) ;
– les terres rares sont des minerais aux propriétés exceptionnelles et omniprésents dans l’industrie de pointe et les technologies bas carbone (leur extraction est complexe mais ils sont abondants contrairement à ce que leur appellation sous-entend).

Emmanuel Hache, économiste prospectiviste spécialiste des matières premières, est sans appel : toutes les technologies bas carbone développées aujourd’hui vont consommer énormément de matières premières. Par exemple, pour une technologie solaire ou éolienne de base ou encore les véhicules électriques, nous sommes à une composition de l’ordre de 15 à 20 métaux différents [].

Quand on sait qu’un véhicule électrique va consommer entre 80 et 120 kg de cuivre, 60 kg pour l’hybride et 20 à 30 kg pour le thermique, cela signifie que si l’on remplace l’ensemble des véhicules thermiques aujourd’hui en circulation par des véhicules électriques, on va multiplier la quantité de cuivre consommée par le secteur d’un facteur 4 !

« On pourrait croire qu’avec les technologies bas carbone, on va s’émanciper de toutes les questions de sécurité d’approvisionnement. Or justement le problème c’est que ces technologies bas carbone, dans leur grande majorité, consomment plus de métaux que les technologies traditionnelles (…) Il y a une empreinte carbone, ça on en parle beaucoup, mais il y a aussi une empreinte minérale (…) Il y a vraiment un problème de conscience, d’amnésie environnementale par rapport aux métaux, c’est-à-dire qu’on n’a jamais consommé autant de métaux qu’aujourd’hui » (Emmanuel Hache)

Or, les marchés des métaux entrent depuis le siècle dernier et tous les 40 ans dans ce qu’on appelle des supers cycles, c’est-à-dire une explosion de la nouvelle demande par rapport à aux précédentes périodes. Depuis les années 2000, nous sommes entrés dans un super cycle ce qui correspond à une demande exponentielle en métaux, qui va d’autant plus peser avec la transition énergétique telle qu’elle est définie aujourd’hui par nos États (qui se concentre sur un certain nombre de métaux en particulier comme le cuivre, le lithium ou le cobalt, on va y revenir).

 

« Le 21e siècle, c’est le siècle des métaux »

La consommation en métaux est donc vouée à augmenter substantiellement. Aujourd’hui, on consomme par jour et par personne 33 kg de matière première, et on estime, suivant l’actuelle tendance, que nous nous dirigeons vers une consommation de 45kg en 2060 (une augmentation de presque 50% par rapport à aujourd’hui)…

Notre société actuelle est donc extrêmement dépendante des métaux, et est vraisemblablement vouée à l’être encore plus si le modèle économique reste le même dans les décennies à venir. Ajoutons à cela le fait que l’Europe ne produit qu’une infime quantité des ressources métalliques qu’elle consomme, et cette dépendance aux métaux se transforme littéralement en dépendance vis-à-vis des États producteurs, dont certains ne sont pas vraiment démocratiques…

« Quand on regarde des grands pays miniers : l’Australie, le Congo, le Chili, la Chine, la Russie ; aucun de ces pays ne se trouve en Europe. A quel point l’Europe est-elle dépendante des métaux ? […] La zone la plus dépendante à tous ces métaux pour 2050, c’est l’Europe : sur le cuivre, sur le cobalt, sur le lithium, sur les terres rares » (Emmanuel Hache)

Ceci n’est pas sans rappeler notre extrême dépendance aux pays producteurs de ressources fossiles (pétrole et gaz), révélée au grand jour par la guerre russo-ukrainienne qui fait actuellement rage. Au-delà de l’horreur, les perturbations économiques catalysées voire engendrées par ce genre de conflit, pourraient bien constituer un avant-goût des tensions d’approvisionnement métallique en cas de futur conflit géopolitique.

En définitive, que nous parlions de pétrole, de gaz ou de métaux, à moins que d’importants changements sur la scène géopolitique aient lieu, la forme de dépendance dont nous souffrirons restera visiblement la même.

Aurore Stéphant, ingénieure géologue minier, rappelle également à quel point notre monde est toujours plus métallo-dépendant [] :

« On n’a jamais cessé d’exploiter plus que l’année précédente [depuis plus de 50 ans] : on a augmenté les quantités produites et aussi diversifié les quantités utilisées. Par ex. pour l’or, on a produit 205 000 t dans le monde depuis le début de l’humanité, et on estime qu’on a extrait les 2/3 de cet or depuis 1950 (…) Tout [toute notre économie] est basé sur le métal. Le secteur de la construction en est un parfait exemple. Il y a aussi les infrastructures énergétiques (le stockage, énergies « conventionnelles » et « renouvelables »). Mais il y a également plein d’usages au quotidien qu’on ne voit plus (les canettes en alu, les casseroles, les ampoules, la peinture,… même le shampoing et colorations pour cheveux contiennent des métaux !) »

« On a créé un monde qui repose sur les métaux (…) Parmi tous ces secteurs qui s’accumulent, il y en a un qui va plus pousser que les autres niveau production/consommation : c’est le secteur de l’électronique (numérique, télécom, aéronautique). Aujourd’hui, on est sur des scénarios complètement délirants parce qu’on a dit qu’on allait faire encore plus alors qu’on faisait déjà beaucoup »

 

6) Une guerre des métaux à prévoir ?

 

Le marché du pétrole est modérément concentré géographiquement, comme les marchés de type cuivre ou nickel (qui sont des métaux stratégiques risquant de devenir critiques, on le verra par la suite). Par contre, des marchés comme le lithium, les terres rares, le cobalt, le tantale, le tungstène sont très concentrés. Et plus un marché est concentré, plus il est dans les mains d’une petite poignée de producteurs qui vont alors assurer l’approvisionnement.

« Dans un smartphone, il y a de l’indium qui vient de Chine ; dans l’écran tactile, il y a du cobalt qui vient de République Démocratique du Congo, du lithium du Chili, du cuivre du Chili, et dans la carte électronique, on trouve de l’argent qui vient souvent du Mexique, de l’étain chinois, de l’or chinois, du platine et du palladium qui viennent d’Afrique du Sud, du tantale du Rwanda, du tungstène de Chine. Aujourd’hui, on est complètement dépendants des métaux, et cela remplace quelque part la dépendance qu’on avait au pétrole » (Emmanuel Hache)

Par exemple, pour le cas du cobalt, 70% de sa production primaire provient du Congo (un pays très instable avec un taux de corruption, de travail illégal très élevé ainsi qu’un contexte sécuritaire et politique difficile). Et pour le raffinage du cobalt, on retrouve derrière La Chine… qui contrôle finalement entre 50% et 80% du cobalt raffiné ainsi que 40% de la production de cobalt primaire au travers de ses entreprises, qui exploitent directement sur le sol congolais !

Rappelons que la Chine a déjà organisé sa route de la soie afin d’assouvir sa propre consommation et de devenir n°1 dans la construction mondiale de batteries, tout en étant en passe de devenir la première puissance économique mondiale. Géopolitiquement parlant, il est pour le moins interpellant que les Etats du monde entier (à commencer par ceux de l’Europe) aient laissé faire…

« La Chine a très bien compris que les métaux, c’est le pétrole de demain (…) Et le principal acteur (de ce marché), c’est la Chine : 1er producteur de bon nombre de métaux raffinés, et premier consommateur […] La Chine veut montrer à la face du monde, qu’elle est un leader vert. Ce leadership écologique passe par une réduction des pollutions en interne, et donc par la fermeture de mines et usines fort polluantes, ce qui va bien faire monter les prix […] En Europe, on n’a pas cette dimension géopolitique en tête » (Emmanuel Hache).

In fine, passer d’une dépendance pétrolière (en énergie) à une dépendance minérale (en métaux) au moins aussi importante, ne nous dispense pas de sérieuses problématiques, bien au contraire :

– Le Chili, première réserve mondiale de cuivre et 2e producteur mondial de lithium, fait face à une incertitude législative, concernant le droit minier qui risque d’évoluer avec la nouvelle constitution, ainsi qu’à de potentiels problèmes d’approvisionnement en eau puisque le secteur minier en consomme énormément, ce qui risque de freiner le déploiement des EnR (le cuivre étant essentiel pour la plupart de ces techno) ;
– La Chine, utilise déjà ses terres rares comme arme diplomatique contre le Japon (problème géopolitique) ;
– le marché du lithium est détenu à 90% par 5 entreprises dans le monde (situation d’oligopole).

Or le lithium pour les batteries (et donc la mobilité électrique) est primordial :

« Comment est-ce qu’on peut laisser les clés de notre mobilité de demain et de nos batteries, à 5 entreprises (2 américaines, 1 chilienne, 2 chinoises) ? C’est complètement incompréhensible et c’est pour ça qu’il faut réagir » (Emmanuel Hache)

 

7) Des risques de pénurie ? Substituer ?

 

Contrairement aux idées reçues, les terres rares sont le groupe de métaux le moins contraint. Ce ne sont donc absolument pas des éléments rares, malgré ce que sous-entend leur désignation. Par contre, en plus des conflits géopolitiques à court/moyen terme, risque-t-on alors d’assister à des pénuries d’approvisionnement du côté des autres métaux ? C’est en tout cas l’avis d’Emmanuel Hache :

« Le métal le plus contraint à l’horizon 2050, ce sera le cuivre. Ça veut dire qu’on aura consommé 90% des ressources de cuivre existantes à l’heure actuelle. 83% pour le cobalt […] Ces matériaux seront donc les plus contraints de par la transition énergétique (…) Même pour le lithium, en l’espace de 30 ans on aura mangé 32% de ce qu’il y a sous terre ! Mais qu’est-ce qu’on laisse pour après ? (…) On en a déjà [des pénuries de cuivre], c’est pour ça que les prix ont connu des augmentations très importantes (…) Il est utilisé partout. Du coup, ces métaux-là vont être les plus contraints »

Même topo pour le nickel, dont 62% des stocks recensés pourraient selon lui être atteints dans les prochaines décennies. Ci-dessous, la liste des principaux éléments chimiques en danger de pénurie [] :

Cependant, si le cuivre était substituable, le problème ne serait-il pas résolu ? Par exemple, on peut techniquement remplacer le cuivre pour ses usages électriques par de l’aluminium. Quid si l’on applique ce principe de substitution à d’autres métaux ? Est-ce que cela permettrait vraiment d’éviter durablement des pénuries ? Cette évaluation est en cours d’étude, mais Emmanuel Hache est sans équivoque :

« Ça ne fait que repousser le problème (potentiellement à une décennie où on n’aura plus le temps de prendre des décisions) (…) La vraie problématique, c’est d’alléger la consommation de matière première (et notamment des métaux) dans les technologies bas carbone »

 

8) Découvrir de nouvelles mines ?

 

A l’heure actuelle, Il est vrai que les stocks recensés sont loin de représenter la totalité des stocks extractibles sur Terre. Par ailleurs, le résultat des prospections menées jusqu’à aujourd’hui montre que nous disposons théoriquement, même en cas d’accélération de la demande, de suffisamment de stocks géologiques au moins jusqu’à la seconde moitié du siècle (avec des réserves théoriques qui peuvent fortement varier d’un minerai à l’autre). Par contre, si la demande en métaux continue de croitre jusqu’à la fin du siècle, il n’est pas impossible que certaines ressources métalliques viennent à manquer. Ce n’est donc pas comme si nous disposions d’un réservoir qui nous garantirait plusieurs centaines d’années d’utilisation avec une demande continue toujours plus forte !

Notons également que les premiers stocks découverts et exploités sont presque toujours les plus accessibles et ceux dont les concentrations en minerai sont les plus importantes. Ainsi, arrive un moment où les réserves s’épuisent et où il faut rechercher d’autres gisements, moins qualitatifs. C’est exactement ce qui se passe avec le pétrole aujourd’hui.

Dès lors, plus il faudra prospecter et se tourner vers des gisements plus difficilement accessibles et moins concentrés, plus il faudra dépenser d’énergie et moins l’opération sera rentable. C’est pourquoi il est extrêmement peu probable que nous extrayions la toute dernière goutte de pétrole ou le tout dernier minerai de cuivre, tant il sera compliqué et contreproductif d’y accéder. Il faut donc garder à l’esprit que des limites géologiques non atteintes, cela ne signifie pas nécessairement la possibilité d’extraire encore de faramineuses quantités, et que passé un certain stade (celui où les meilleurs gisements sont exploités), extraire toujours plus voire autant de minerai devient de plus en plus délicat.

« La concentration du cuivre était autour de 1.7% – 1.8% il y a une centaine d’années. Aujourd’hui on est autour de 0.5% – 0.6% [0.6g de cuivre pour 100 kg de terre/roche extraite !], on a diminué la concentration par plus de 2. C’est pas tenable d’un point de vue environnemental. Et il y a de nombreux métaux qui se retrouvent dans cette problématique-là » (Emmanuel Hache).

Entre 1995 et aujourd’hui, la concentration du cuivre au Chili est passée de 1% à 0.64%. Il faut donc grosso modo 36% d’investissements en plus et plus d’énergie pour avoir la même quantité qu’en 1995. Il faut également plus d’eau.

Dans le cadre de nos travaux de recherche sur l’électrification du parc automobile belge (second rapport), nous avions par ailleurs conclu que la criticité de la plupart des métaux rares n’est pas tant due à leur épuisement géologique (sur base des prospections actuelles, les analyses annoncent au moins plusieurs décennies d’exploitation possible), qu’aux conflits géopolitiques et tensions d’approvisionnement qui pourraient en découler !

Il ne faut pas également oublier que la vitesse à laquelle les stocks recensés s’épuisent, dépend de notre appétence pour tous ces métaux. Or, les tendances actuelles montrent une augmentation exponentielle de l’usage des métaux [¹⁰] :

Par conséquent, même en considérant que les prospections actuelles minorent conséquemment l’ensemble des gisements exploitables, si cette consommation galopante perdure, certains métaux pourraient atteindre leur pic d’extraction d’ici quelques décennies ! C’est notamment le cas du cuivre, qui est indispensable pour la transition énergétique.

Certains métaux sont également des co-produits, c’est-à-dire des métaux qui ne se trouvent pas à l’état pur, naturel. C’est le cas par exemple du cobalt qui n’est trouvable qu’à 2% à l’état pur et pour le reste, présent dans des mines de cuivre ou encore de nickel. Et leur séparation demande des procédés parfois extrêmement polluants. Autrement dit, si on ne développe pas des mines de cuivre ou de nickel, pas de cobalt ! Et les prix du cuivre et du cobalt vont forcément de pair l’un avec l’autre…

Au final, pour la même quantité de métal :

– le nombre d’investissements risque de diminuer pour certains métaux puisque la rentabilité baisse au fur et à mesure que les ressources sont de moins en moins faciles d’accès ;
– si la consommation d’énergie pour l’extraction augmente (et elle ne cessera visiblement pas de le faire), il faudra d’autant plus d’EnR pour maintenir une certaine décarbonation de notre économie à consommation globale d’énergie constante, et plus il faudra d’énergie pour produire ces EnR, plus il sera compliqué d’extraire toujours davantage et d’avancer dans le processus de décarbonation  (un problème sans fin sans décroissance/sobriété) ;
– d’autres ressources nécessaires à la production de métaux comme l’eau, risquent de se raréfier avec le dérèglement climatique et générer des stress supplémentaires (et pour le coup compromettre la production de certains métaux dans certaines régions, pouvant potentiellement aboutir à des crises d’approvisionnement).

Du coup, non, le fait de ne pas encore avoir découvert toutes les ressources disponibles n’est pas nécessairement de bon augure pour la suite et ne constitue en rien un motif pour sereinement se reposer sur un déploiement ad infinitum des renouvelables et de la voiture électrique (pour ne citer que ça).

 

9) Réaction (timide) européenne, en toute hypocrisie

 

Mais que fait donc l’Europe sur ces sujets-là ? Pouvons-nous espérer de sa part une gestion (géo)politique digne de ce nom ?

« Il y a une ambition à 2 têtes : (re)localiser une partie des batteries des véhicules électriques en Europe, et se poser la question des dépendances à l’extérieur pour les matériaux stratégiques » (Emmanuel Hache)

Enfin des mesures efficaces ? Pas tout à fait, puisque :

1) La classification des matériaux stratégiques ne tient pas compte de l’inflation et pose donc problème ;
2) Quand tous les matériaux deviennent stratégiques, qu’est-ce qui est stratégique au final (potentiel souci de hiérarchisation de ces matériaux stratégiques) ?

Par exemple, le cuivre ne fait pas partie de cette liste (alors qu’on a bien vu à quel point il est critique)…

3) l’UE a une vision photographique et pas prospective des matériaux stratégiques, c’est-à-dire à court terme (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le cuivre n’est pas répertorié). Or, ce qui serait intéressant c’est de faire des projections pour l’horizon 2050 !

En définitive, les modélisations européennes sont encore une fois basées sur une échelle de temps court, à l’instar des politiques nationales. et c’est précisément cette façon de faire qui fait partie du problème…

Selon Emmanuel Hache, l’espoir se trouve surtout au niveau de la société civile : « La pression va peut-être venir du public, qui est de plus en plus informé sur ces questions ». Chez TSEB, nous osons y croire également et espérons pouvoir y contribuer !

Pour le reste, ne nous leurrons pas. D’un côté nous voulons effectuer une transition énergétique grâce aux métaux, et de l’autre, nous refusons d’ouvrir des mines sur nos terres et approuvons par conséquent l’exploitation minière dans des pays bien souvent dirigés par des gouvernements corrompus, instables et oppresseurs, de certains de nos grands groupes, ces derniers profitant de la situation pour ouvrir des mines à prix cassé et faire du profit sans se préoccuper (voire en tirant parti) de conditions de travail, sociales, salariales et environnementales épouvantables.

Cette vision de la transition n’est-elle donc pas purement et simplement élitiste ? A-t-elle simplement un sens dans un contexte de crise écologique généralisée ? Permettons-nous d’en douter… Une analyse partagée par Emmanuel Hache :

« On veut faire des éoliennes, des panneaux solaires, on veut des téléphones, des ordinateurs, des véhicules électriques, mais en revanche on accepterait pas de faire des mines chez nous ? (…) L’hypocrisie elle est complète. On n’a pas la capacité à voir notre empreinte environnementale sur nos consommations (…) Essayez d’ouvrir une mine en France : on a une surface maritime extraordinaire (qui pourrait fournir une partie des matériaux stratégiques), mais on ne veut pas »

« Sur les technologies bas carbone, on se donne bonne conscience. On n’est pas en transition énergétique : on ne fait qu’empiler les sources énergétiques, on empile les problèmes géopolitiques, on empile tout. Quelque part, on ne réfléchit pas à nos usages. Et tant qu’on ne réfléchira pas à nos usages, on ne réfléchira pas à notre empreinte métaux (et donc, à notre empreinte écologique) »

« Derrière tout ça il y a une question plus philosophique sur nos usages. Nos désirs sont mimétiques : c’est parce que je vois ce bel appareil photo ou ce bel IPhone que je veux avoir le même. Donc c’est de la représentation sociale. C’est ça qu’il faut changer »

 

10) L’économie circulaire, bien loin du miracle

 

Si le recyclage est indiscutablement pertinent pour réduire la quantité d’énergie mobilisée pour la fabrication de certains produits finis (en effet, le processus nécessite beaucoup moins d’eau et d’énergie que l’extraction minière pour une quantité donnée de métaux, en moyenne, 5 fois moins), il présente plusieurs limites [¹³] :

1) Certaines matières comme le plastique, se dégradent au fur et à mesure qu’elles sont recyclées (notamment à cause de la présence de certains additifs). Les plastiques les plus recyclés ont au maximum une durée de vie de 5, 6 cycles, au-delà de laquelle on ne sait plus les recycler sans rajouter de matière première vierge (càd neuve, qui n’a pas encore été utilisée). Déjà après 2-3 cycles (et souvent même après seulement 1 usage), le plastique ne peut plus être employé pour son usage initial. A titre indicatif, dans le monde, 91% des plastiques ne sont même pas recyclés, 70% en Europe [¹]…

2) Beaucoup de nos matériaux résultent du mélange d’un grand nombre de matières différentes. Impossible donc de toutes les séparer… On se focalise ainsi sur la séparation de matières clés (qui resteront mélangées à tout un tas d’autres matières et donc « souillées », dégradées), qui ne pourront dès lors plus répondre à l’usage initial dans certains cas. Les éléments mélangés présents en très faible quantité sont donc irrécupérables. Ce problème est courant aussi bien pour le plastique que pour le recyclage des métaux, dont moins d’un tiers ne sont recyclés qu’à hauteur de plus 50%, les autres moins.

3) Il y a tout un tas d’autres produits par définition impossibles à recycler compte tenu de leurs usages, et qui finissent directement dans la nature, perdus à tout jamais : la lessive, la peinture, les colorants,…

En clair, une fraction importante des matières premières se volatilise au travers de nos usages, qui dégradent immanquablement les matériaux utilisés. Par ailleurs, quand bien même le taux de recyclage atteindrait 100% (ce qui est impossible dès que l’on mélange certaines matières, et est loin d’être le cas même pour les matériaux les mieux recyclés), on finirait toujours par rajouter de la matière première et de l’énergie pour restaurer certaines propriétés.

Par conséquent, même si les métaux se recyclent relativement bien par rapport aux plastiques [¹¹] :

taux de métal recyclé dans la fabrication de métal     |     taux de vieux déchets métalliques dans le flux de recyclage

> 50% pour le plomb (Pb) ;                                              |     > 50% pour l’argent (Ag), le nickel (Ni), l’or (Au), (Pt), (Pd), (Pb)
> 25 – 50% pour (Al, Ag, In, Ge, Ni, Au, Pt, Pd) ;            |     > 25 – 50% pour l’aluminium (Al), le cuivre (Cu), l’étain (Sn)
> 10 – 25% pour (Be, Cu, Sn, Ga, Si, Ta) ;                       |     > 10 – 25% pour le béryllium (Be)

Le taux de recyclage pour des métaux comme le lithium (Li) (employé pour fabriquer les batteries dédiées aux véhicules électriques ou au stockage d’énergie électrique pour les renouvelables) et les terres rares (utilisées pour les composants électroniques et leur miniaturisation) est inférieur au pourcent. Ainsi, on peut constater que certains métaux clés pour la transition énergétique et/ou le déploiement du numérique se recyclent bien souvent assez mal.

« Les taux de recyclage des métaux sont bien inférieurs au potentiel de réutilisation. Moins d’un tiers des 60 étudiés ont un taux de recyclage supérieur à 50%, bien que beaucoup soient essentiels aux technologies propres telles que les batteries pour voitures hybrides ou les aimants dans les éoliennes » (conclusion du Programme des Nations Unies pour l’environnement)

Qui plus est, le problème est que ce qui se recycle le mieux (à 60%), c’est la construction, ce qui est immobilisé pendant des décennies, voire des siècles. Or, on ne va pas détruire ces infrastructures pour récupérer par exemple le cuivre… A l’inverse, ce qui se recycle peu (à 30%), c’est ce qui se consomme rapidement : les ordinateurs portables, téléphones et autres gadgets électroniques.

Au-delà des comportements (augmentation des capacités de recyclage, meilleure collecte des déchets électroniques,…), il y a donc surtout un problème de conception : les matrices des produits ne sont pas faites pour être recyclées et les métaux sont mélangés d’une manière qui permet difficilement de les séparer. Le processus est donc très cher (donc abandonné par les constructeurs)…

Ainsi, si le recyclage n’est pas la panacée, ne se suffit pas à lui-même et ne permettra jamais d’avoir une économie complètement circulaire, il est en tout cas primordial de développer cette filière, mais AUSSI et SURTOUT de développer des produits bien plus durables dans le temps (c’est-à-dire fiables) et bien plus facilement recyclables (moins complexes et réparables/réutilisables entre autres), de manière à limiter au maximum les pénuries d’approvisionnement en métaux stratégiques comme le cuivre. Pour le dire autrement, il va falloir consommer moins, beaucoup moins de métaux, c’est-à-dire organiser une transition écologique fondée sur une consommation bien plus raisonnée et raisonnable des énergies et ressources.

 

11) Réduire notre empreinte minière, un enjeu écologique

 

Par ailleurs, l’ingénieure géologue Aurore Stéphant ne manque pas de rappeler que l’industrie minière est loin d’être dénuée d’impacts écologiques importants [][¹²] :

« L’industrie minière (uniquement prospection et exploitation des mines), ça représente aussi 8 à 10% de l’énergie mondiale et 4 à 7% des émissions mondiales de Gaz à Effet de Serre (donc on ne parle même pas des activités qu’il y a autour) (…) L’industrie minérale, c’est le 1er producteur de déchets solides, liquides et gazeux tous secteurs industriels confondus »

De ce fait, même à nombre d’exploitations minières constantes, le nombre de rebus (déchets) va augmenter (plus la concentration des minerais diminue, plus on a d’éléments indésirables qu’il faut séparer des métaux convoités). Ces rebus non valorisables vont donc constituer des déchets qui vont polluer les sols et les nappes phréatiques lorsqu’il pleut : environnementalement parlant, c’est aussi un problème de taille !

Comme nous l’avons précédemment mentionné, l’industrie minière est également très gourmande en eau :

« La principale victime de la mine, c’est l’eau (la mine génère des quantités considérables d’eau contaminée souterraine ou en surface), mais aussi les sols et l’air (poussières, émissions de gaz). Le secteur minier est également celui qui est à l’origine du plus de conflits socio-environnementaux et qui cristallise le plus les tensions, ainsi que du plus grand nombre de meurtres vis-à-vis des défenseurs des droits humains dans le monde (…) L’empreinte environnementale [et sociale] de cette production de métaux, elle est catastrophique à l’heure actuelle ! » (Aurore Stéphant)

Des propos partagés par Emmanuel Hache :

« L’extraction minière, c’est un condensé d’énergie et d’eau. Derrière la matière première vous avez besoin d’énergie (…) On estime que l’extraction, c’est 15 à 17% de la consommation énergétique mondiale. Donc ça, ça devrait nous interroger sur nos modes de consommation : 1/6 de l’énergie dans le monde va aux métaux, juste pour l’extraction [donc sans compter le raffinage et la fabrication des produits dans lesquels ils sont insérés] ! »

« Le problème c’est que les mines de métaux sont dans des régions à fort stress hydrique (…) On va avoir une concordance entre problématique aquifère et problématique de métaux (…) Au Chili, on tire des canalisations de 150 km pour dessaliniser l’eau (de mer), on fait monter l’eau au niveau des usines d’exploitation » (parce qu’ils n’ont plus assez d’eau douce).

Ainsi, pour maintenir les exploitations comme celles du Chili, il faut consommer toujours plus d’eau, d’énergie et avoir un impact environnemental toujours plus important… avec des concentrations toujours plus faibles en minerai ! Et dans la mesure où les gisements prospectés en premier lieu sont les plus accessibles (les plus concentrés), il faudra toujours plus de ressources pour extraire 1 kg de minerai / produire 1 kg de métal. D’où la nécessité de ralentir la demande pour non seulement préserver au mieux les stocks, mais aussi réduire les contraintes exercées sur la biosphère.

Actuellement, selon Stéphant [¹²], 1/3 des terres émergées seraient impactées par des mines. Un chiffre tout bonnement hallucinant ! Tandis que 10 à 15% de ces zones impactées seraient des aires protégées et/ou à forte valeur écologique…

 

Avec une transition bisounours, nous n’y serons jamais !

 

Au terme de cette analyse, pouvons-nous admettre que la transition énergétique (selon sa définition courante, usuelle, qui propose une sortie des énergies fossiles grâce aux énergies bas carbone – nucléaire et renouvelables, comprenant l’éolien, le solaire, la biomasse, la géothermie, les marées et courants hydrauliques,…) est l’option la plus crédible ?

Comme nous venons de le voir, du point de vue des métaux, il y a de (très) fortes chances pour que cela occasionne d’importants problèmes ! En particulier, la manœuvre reviendrait à décaler une partie des soucis rencontrés avec les énergies fossiles (épuisement des ressources, émissions responsables de l’effet de serre, pollutions,…) sur les métaux, avec des externalités négatives tout aussi problématiques (ressources qui se raréfient et de plus en plus énergivores, difficiles à extraire et « purifier », pollutions minières, destruction d’espaces naturels,…). Ceci est d’autant plus vrai que le problème écologique ne se résume pas aux gaz à effet de serre !

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Aurore Stéphant ne partage pas non plus l’idée suivant laquelle, un simple remplacement des énergies fossiles par des énergies décarbonées (reposant sur les métaux) résoudra le problème, en particulier dans un contexte où la demande en numérique est sans cesse stimulée. Même si la plupart de ces ressources ne connaitront théoriquement pas d’épuisement géologique à court terme :

« De plus en plus, on va chercher des quantités de plus en plus petites (et donc difficiles à extraire) ». Qui plus est, « on n’arrive déjà pas à gérer les problèmes maintenant et vous voulez encore multiplier [tout ça] ! C’est fou, ça n’a pas de sens ! Encore plus dans un contexte où on a des problèmes de partout (moins d’eau, moins d’énergie) (…) On a essayé de faire croire aux gens qu’on allait résoudre le problème avec des métaux. C’est faux ! »

« Dans beaucoup de discours qui se veulent extrêmement rassurants on nous dit que maintenant on a des technologies révolutionnaires etc. et qu’on va réussir à diminuer la tendance, mais c’est l’inverse qui se produit. On accélère les impacts sur l’activité minière alors que jusqu’ici ce n’était déjà pas bien brillant (…) Les impacts de la mine pour répondre à ces injonctions [de décarbonation via l’électrification bête et méchante sans revoir les usages ni réduire conséquemment les flux physiques] risquent d’être supérieurs aux effets qu’on avait justement essayé d’éviter en faisant appel à ces technologies [pour décarboner en vue de limiter le réchauffement climatique] (…) Ça n’a aucun sens. Moi personnellement j’assume pas ça ! »

Pour revenir à la question :

  • NON, le programme de transition énergétique prévu à l’international ne tient absolument pas la route et fait preuve d’un optimisme béat (que ce soit sur le plan purement technologique comme nous le verrons prochainement, au niveau de la disponibilité des ressources nécessaires ou encore au niveau de la résolution de la crise écologique étudiée dans toute sa complexité) ;
  • NON, un monde obnubilé par le numérique (déploiement de la 5G, big data, la 8k, le métavers,…), qui prône plus d’un milliard de voitures électriques de 2.5t et la croissance n’est pas un monde soutenable ! Compte tenu de l’ampleur des enjeux, est-ce un minimum sérieux d’y croire encore ?

En tant que citoyens, miser notre avenir sur un scénario de transition aussi bancal est pour le moins risqué. Oui, il va falloir sortir des énergies fossiles, déployer des renouvelables et autres systèmes de production décarbonés. Mais nous pouvons aisément constater que cela ne suffira pas, et qu’il faut d’autres changements : structurels, systémiques, socio-économiques, relationnels, de paradigme. Dans ce contexte, ériger des principes et conventions économiques au-dessus de tout le reste, penser en silo sous le seul prisme du réchauffement climatique et tout faire pour préserver le plus possible le modèle de société actuel à l’occidentale, relève tout simplement de la pure folie et il va nous falloir envisager d’autres plans si nous voulons préserver l’habitabilité de notre planète d’ici la fin du siècle…

Dans cette optique, n’aurions-nous pas plutôt intérêt à envisager la transition énergétique sous l’angle d’un régime énergétique et matériel désirable et désiré, contrôlé, mais surtout planifié, pensé démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être ?

Nous vous laissons sur cette réflexion : après tant d’heures consacrées à rechercher, analyser, structurer, écrire et relire un aussi vaste sujet (et nous n’oublions pas tous les autres travaux accomplis au cours de cette année), voici l’heure d’une sieste bien méritée en attendant 2023 !

 

Sources (et pour aller plus loin) :

– [¹] Reporterre – La guerre des minerais, revers de la transition énergétique ?

– [²] GreenLetter Club – Transition énergétique : un mythe dangereux ? Jean-Baptiste Fressoz

– [³] Nations Unies – Rapport de 2019 sur les objectifs de développement durable 2019

– [] France Stratégie – La consommation des métaux du numérique : un secteur loin d’être dématérialisé

– [] Olivier Vidal – Ressources minérales, progrès technologique et croissance

– [] Commissariat général au développement durable – L’empreinte matières, un indicateur révélant notre consommation réelle de matières premières

[GreenLetter Club – Métaux rares : un risque de pénurie ? Emmanuel Hache

– [] l’ADN – fin des métaux rares : c’est l’heure du choix (avec Aurore Stéphant)

– [] minéralinfo – substances critiques et stratégiques

– [¹⁰] minéralinfo – Les ressources minérales : un enjeu pour demain

– [¹¹] EcoInfo – Le recyclage des métaux

– [¹²] Éthique et Tac – La transition énergétique – Macron VS Stephant

– [¹³] Une Autre Empreinte – Philippe Bihouix démontre les limites du recyclage

– [¹] National Geographic – 91% des déchets plastiques ne sont pas recyclés

– [¹] Zenon Research – Fluxes, not stocks : The real challenges of metallic resources for the energy transition

– [¹⁶] Olivier Vidal – Impact des différents scénarios énergétiques sur les matières premières et leur disponibilité future

Blast – « On est en train d’enfouir la crise climatique et écologique au fond des mines » – avec Celia Izoard

Avis de Tempête – Démanteler l’ordre électrique

– Krausmann Fridolin, Simone Gingrich, Nina Eisenmenger, Karl-Heinz Erb, Helmut Haberl et Marina Fischer-Kowalski – Croissance de l’utilisation mondiale des matériaux, du PIB et de la population au cours du 20e siècle

Olivier Vidal – Matières premières et énergie à l’échelle mondiale dans le contexte d’une transition énergétique

ONU – Flux mondiaux de matières et productivité des ressources

CGRi – The Circularity Gap Report

Connaissance des énergies – Efficacité énergétique : des progrès loin d’être compatibles avec l’objectif de neutralité carbone

La Revue Nouvelle – L’épuisement des ressources minérales et la notion de matériaux critiques

EcoInfo – Épuisement des ressources naturelles

encycloEcolo – Epuisement des ressources naturelles

IFP Energies Nouvelles – Le nickel dans la transition énergétique : pourquoi parle-t-on de métal du diable ?

ADEME – Les métaux : des ressources qui pourraient manquer ?

Libération – Des métaux qui carburent au carbone

Lingot Swiss – Liste des métaux rares et des terres rares

Les cahiers du développement durable – Des ressources menacées d’épuisement

Université de Liège (Prof. Eric Pirard) – L’approvisionnement en métaux critiques : importance, stratégies et impact

Nourritures terrestres – Regards sur les métaux

LIMIT – Les ressources du congo

Libération – En cinquante ans, l’extraction de ressources a plus que triplé dans le monde